lundi 16 février 2009

27 millions d'esclaves dans le monde, selon l'ONU-Barakatou, libérée par hasard -LE MONDE | 16.02.09 | 15h07 •

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mpirenireny ela a dit…

27 millions d'esclaves dans le monde, selon l'ONU
LE MONDE | 16.02.09 | 15h07

L'esclavage a officiellement disparu il y a plus d'un siècle. Pourtant, c'est un mal qui perdure encore dans le monde. L'ONU estime à environ 27 millions le nombre de personnes en situation d'esclavage, sous une forme ou une autre. Dans un rapport rendu public le 12 février, l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODOC) souligne que "le déni ou l'incurie compromettent la lutte contre la traite des êtres humains". De nombreux systèmes de justice pénal "minimisent la gravité de ce crime" ou ferment les yeux sur le problème.
On distingue, en règle générale, deux sortes d'esclavage moderne : le travail forcé et l'exploitation sexuelle. Aucun pays n'est épargné. Les enfants constituent environ 20 % des victimes de la traite à l'échelle mondiale. Mais dans certaines régions d'Afrique ou d'Asie (comme le Mékong), ils en sont les premières victimes.
PHÉNOMÈNE SOUS-ESTIMÉ
Le travail forcé est un phénomène sous-estimé qui prend de l'ampleur, selon l'UNODOC. Il est moins souvent détecté et signalé que l'exploitation sexuelle, car il est moins visible. C'est dans le sous-continent indien que les cas sont les plus nombreux. Quinze à vingt millions d'hommes, femmes et enfants sont maintenus en situation de travail forcé en Inde, au Pakistan, au Bangladesh, en Birmanie, au Népal, et à Singapour. L'Organisation internationale du travail (OIT) donne des chiffres plus restrictifs et les évalue à 12,3 millions.

Dans les pays industrialisés, l'exploitation sexuelle est la forme d'esclavage la plus répandue.Quelque 360 000 personnes en seraient les victimes. Contrairement à toute attente, ce sont majoritairement des femmes qui réduisent d'autres femmes et des fillettes à l'esclavage sexuel. En Europe orientale et en Asie centrale, les femmes représentent en effet plus de 60 % des personnes condamnées pour traite. Ce sont souvent d'anciennes victimes de l'exploitation sexuelle.

Au Moyen-Orient, la pratique de l'esclavage est fréquente et revêt diverses formes. Au Liban, l'esclavage domestique est régulièrement dénoncé, et l'est moins dans les pays du Golfe qui pourtant asservissent par milliers des "petites bonnes" asiatiques.

En Afrique, plusieurs pays, essentiellement du Sahel, continuent de pratiquer, de facto, l'esclavage. Au Niger, on compterait "au moins 43 000 esclaves", selon l'ONG Anti-Slavery International, basée à Londres. Au Mali, ils seraient environ 7 000. Il s'agit le plus souvent de Noirs, soumis à la domination de maîtres arabes ou touaregs, comme cela se pratique en Mauritanie.

Pour l'anthropologue Malek Chebel (auteur de L'Esclavage en terre d'islam, Fayard, 2007), les musulmans n'ont jamais vraiment milité pour l'abolition de l'esclavage. Si le Coran recommande l'affranchissement de l'esclave, il n'en fait pas une obligation. Malek Chebel déplore que l'esclavage soit devenu "de dynastie en dynastie, de siècle en siècle, un fait musulman" qui, dit-il, ne soulève nulle part de "réprobation".

Florence Beaugé

mpirenireny ela a dit…

Barakatou, libérée par hasard
LE MONDE | 16.02.09 | 15h07 • Mis à jour le 16.02.09 | 15h07

NOUAKCHOTT ENVOYÉE SPÉCIALE

Pieds nus, enveloppée dans un voile bleu et jaune semblable à un sari, elle parle sans s'arrêter, le visage crispé et les yeux fixes. Elle livre son histoire d'une traite, comme si elle se débarrassait d'un fardeau trop lourd. Sa voix est à son image : fluette mais déterminée.

Voilà six mois que Barakatou est "libre". Si elle n'avait pas rencontré par hasard dans la rue, l'été dernier, un membre de l'ONG mauritanienne SOS-esclaves (qui l'héberge aujourd'hui), elle serait toujours asservie à Ayoun, à 800 kilomètres au sud-est de Nouakchott, la capitale. "Je suis prête à quitter mes maîtres, si vous m'aidez", a-t-elle dit à son interlocuteur. Chose faite aujourd'hui.
Mais que signifie "être libre" quand on n'a pas de passé propre, pas d'identité, sauf celle de son maître, et qu'on ne connaît ni son père, ni sa mère, ni ses frères et soeurs ? Barakatou tente désespérément de devenir autonome, mais, sans l'aide de SOS-esclaves, elle serait déjà repartie chez son maître, de guerre lasse, ou aurait peut-être basculé dans la prostitution, comme tant d'autres. Elle vend dans la rue des chewing-gums et des cartes de téléphone qu'elle a disposés sur une petite table. Mais elle se fait sans cesse voler, car elle ne sait ni lire ni écrire...

Barakatou ne connaît même pas son âge. Elle pense qu'elle a "entre 40 et 50ans". Elle avait 5 ou 6 ans quand elle a été séparée de sa mère pour être donnée comme domestique à une riche famille de Maures mauritaniens. Bien qu'ils soient minoritaires, les Maures, dit "Arabes blancs", détiennent tous les leviers du pouvoir en Mauritanie. Ils exercent une suprématie presque absolue sur leurs compatriotes de race noire, les Négro-Africains, et surtout sur les haratine (esclaves et descendants d'esclaves), la caste tout en bas de l'échelle sociale.

Toute sa vie, Barakatou a été trimballée comme un objet. Un jour, elle a ainsi été cédée au frère de son maître. "Il cherchait une esclave pour servir sa femme", raconte-t-elle. Chaque jour, elle s'est levée à 4 heures du matin pour travailler. Pas de salaire. Pas de coups. Pas de remerciement. Barakatou ne se révoltait pas. Elle n'avait qu'une idée en tête : revoir sa mère. "Chaque fois, mon maître me répondait "oui", mais il ne faisait rien et j'attendais toujours", se souvient-elle.

Parfois, elle entendait dire à la radio et à la télévision que l'esclavage n'existait plus en Mauritanie. Ses maîtres "fermaient alors toujours la porte si (elle) était dans les parages". Peu à peu, ses rapports avec eux se sont détériorés. "Ils me trouvaient fainéante. Ils m'accusaient de manger dans leurs plats. Ils sont devenus durs avec moi", dit-elle, sur le même ton monocorde.

Du jour où elle a pris la décision de partir, Barakatou n'est plus revenue en arrière et a résisté à toutes les pressions. Elle a pourtant dû laisser dans le sud ses trois enfants, qu'elle connaît à peine car ils ont été, eux aussi, "donnés" comme esclaves, dès leur plus jeune âge. Deux garçons et une fille qu'elle a eus de trois hommes différents, des esclaves haratine comme elle.

Son fils aîné n'a pas voulu quitter son maître. Partir lui faisait peur. Sa fille, elle, travaille dans une famille maure, vraisemblablement en état d'esclavage. Quant au plus jeune fils, Mahmoud, il a fugué il y a une dizaine d'années. Il ne supportait plus de garder le bétail dans la famille où il avait été placé. Est-il seulement vivant ? Cette question ronge Barakatou. "J'y pense nuit et jour", dit-elle.

Officiellement, l'esclavage est aboli en Mauritanie depuis juillet 1981. Il est même considéré comme un crime depuis août 2007 et, en principe, lourdement puni. Dans les faits, il n'en est rien. L'esclavage persiste - on estime à environ 100 000 le nombre de cas en Mauritanie - et les maîtres, quand ils sont pris en flagrant délit, se contentent de relâcher leur "bien", sans jamais être poursuivis en justice.

Nul besoin de porter des chaînes pour être esclave. "Le problème, c'est que l'esclavage n'est pas visible. Les gens ne sont pas battus avec des fouets et ne portent pas de boulets aux pieds. Ils ne sont même pas empêchés de se déplacer. L'esclavage, c'est d'abord une soumission, une aliénation ou une appropriation totale", explique Boubacar Messaoud, président et fondateur de SOS-esclaves.

Lui-même fils d'esclave et marié à une ancienne esclave, Maloma - une forte personnalité qui a réussi à devenir députée, la première parmi les haratine -, Boubacar Messaoud, 63 ans, est à l'avant-garde du combat contre l'esclavage dans son pays. Voilà presque trente ans qu'il se bat pour cette cause à laquelle " (il) a tout sacrifié". D'autres l'ont accompagné dans cette bataille au long cours, tel Cheikh Saad Kamara. Tous l'ont payé par des années de prison.

Si l'esclavage perdure, aujourd'hui encore en Mauritanie, c'est en grande partie parce que l'esclave est solidaire de son maître. "Il voit en lui un protecteur et s'imagine faire partie de la famille. Il est souvent prêt à le défendre jusqu'à la mort, comme le ferait un chien", explique Boubacar Messaoud, pour qui on ne doit pas, pour autant, parler d'"esclavage consenti".

N'ayant ni les moyens ni la force de briser ses chaînes mentales, l'esclave se résigne à son sort. Il le fait d'autant plus que sa mère lui a enseigné depuis l'enfance "à se soumettre, à aimer et respecter son maître". L'esclavage se transmet en effet par les femmes, lesquelles se comportent en "gardiennes du temple". Mais l'islam pèse également de tout son poids. "Ton paradis dépend de ta soumission à ton maître", s'entend répéter l'esclave depuis sa naissance. Se révolter, c'est s'opposer à son destin, donc à Dieu, et risquer l'exclusion de sa communauté.

Pour changer les mentalités, il faudrait former les ulémas et les imams et les impliquer dans une véritable campagne de sensibilisation, comme cela a été fait pour lutter contre le sida ou l'excision. Rien de tel, ces dernières années, au contraire. "La tendance, c'est de prétendre que l'esclavage n'existe plus en Mauritanie. On fait de fausses campagnes qui relèvent du folklore. En fait, on nie la réalité plutôt que de la combattre !" dénonce Boubacar Messaoud. Le fondateur de SOS-esclaves déplore qu'aucun programme de réinsertion n'ait jamais été prévu pour les esclaves libérés. Beaucoup d'entre eux s'enfoncent du coup dans une extrême misère ou retournent chez leurs maîtres.

Dominé par les Maures, l'Etat mauritanien veut-il vraiment éradiquer ce fléau ? Certains en doutent. La preuve, disent-ils : les ONG n'ont pas le droit de se porter partie civile contre les esclavagistes. Or l'esclave, s'il parvient à quitter son maître, n'a pas la force de le traîner en justice. D'où l'impunité totale dont continuent de bénéficier les contrevenants à la loi. Et cela d'autant plus que les magistrats, appartenant pour la plupart à la caste des nantis, ne sont guère enclins à les condamner.

Boubacar Messaoud, lui, voit les années passer et s'en inquiète. "Je ne veux pas disparaître sans avoir abouti à un résultat concret, dit-il simplement. J'aimerais qu'on puisse passer devant ma tombe, plus tard, et se dire : "Cet homme-là a vraiment marqué la lutte contre l'esclavage"."

Florence Beaugé