mardi 3 février 2009

Le Monde 04/02/09 -A Madagascar, la lutte pour le pouvoir

A Madagascar, la lutte pour le pouvoir de deux hommes au parcours similaireLe président Marc Ravalomanana a vu se dresser contre lui un jeune homme d'affaires ambitieux,
Andry Rajoelina Antananarivo Envoyé spécial

L'ascension fulgurante du maire rebelle d'Antananarivo, Andry Rajoelina, a subi un coup d'arrêt lundi 2 février. Son appel à la grève auprès des fonctionnaires n'a pas été entendu. Dans la capitale, l'administration a rouvert ses portes et, dans la plupart des écoles, les élèves ont retrouvé leurs maîtres après une semaine de fermeture liée aux pillages.
A la mi-journée, sur l'estrade de la place du 13-Mai à Antananarivo, celui qui s'est autoproclamé dirigeant du pays, samedi 31 janvier, s'est adressé à quelques milliers de personnes. Une affluence en net retrait comparée à celle des précédents rassemblements. A ces partisans qui scandaient " Allons à Iavoloha ! ", du nom du palais présidentiel de Marc Ravalomanana, l'opposant a réclamé de la patience. L'élu aimerait marcher dans les pas de l'actuel chef d'Etat. En 2002, celui-ci était parvenu, au bout de plusieurs mois de conflit avec l'ex-président Didier Ratsiraka, à se faire élire.
Malgré leur rivalité politique, Andry Rajoelina, 34 ans, et Marc Ravalomanana, 59 ans, ont des parcours similaires. Ce sont des hommes d'affaires qui, fortune faite, se sont lancés en politique.
Surnommé le " PDG de Madagascar ", le chef de l'Etat a créé un vaste empire industriel (eau minérale, grande distribution, etc.). Cet autodidacte protestant devenu milliardaire avait su transformer la petite laiterie familiale en numéro un de l'agroalimentaire malgache (groupe Tiko). Andry Rajoelina, lui, a fait fortune en lançant Injet, une société d'impression numérique et de panneaux publicitaires, après avoir été disc-jockey, organisateur de soirées et gérant d'une boîte de nuit.
Qu'il s'agisse de l'un ou de l'autre, les Malgaches n'avaient jamais entendu parler d'eux avant qu'ils ne se lancent à la conquête de la mairie d'Antananarivo. En décembre 1999, Marc Ravalomanana s'était fait élire, porté par l'association " J'aime Tananarive ". Huit ans plus tard, c'était au tour d'Andry Rajoelina avec son mouvement TGV (" Jeunes Malgaches prêts ").
POINTS COMMUNS
Tremplin idéal pour postuler à la fonction suprême, la capitale leur a permis de parfaire leur CV et d'accroître leur popularité. Marc Ravalomanana a choisi de mener une politique de grands travaux d'infrastructures, tandis que l'actuel édile s'attache à multiplier les actions sociales (construction de terrains de sport, etc.) envers les jeunes et les femmes. Autre point commun, chacun possède sa propre chaîne de télévision et de radio (MBS, Viva).
Le président Ravalomanana peine encore à expliquer ses réformes alors que son adversaire au physique de jeune premier sait user des techniques les plus modernes de la communication. L'une des premières mesures du maire d'Antananarivo a été l'installation, sur une colline de la ville, des lettres blanches, en capitale, " Antananarivo ", à l'image de celles d'Hollywood à Los Angeles. Tous deux membres de l'ethnie des Mérinas (les habitants des hauts plateaux de la Grande Ile), le chef de l'Etat et son adversaire sont des hommes pressés. Au quotidien, l'efficacité est le maître mot du président. Surnommé " TGV ", Andry Rajoelina aime le risque mais il va parfois trop vite. Comme samedi, lorsqu'il s'est autoproclamé " dirigeant suprême ". " On a été complètement surpris, confie un membre de son équipe. Il confond parfois vitesse et précipitation. " Ses détracteurs estiment que " la ferveur populaire lui monte à la tête ". Parfois surnommé " le petit benjamin " dans les réunions par son entourage, il dément être manipulé par les " vieux loups " de la politique malgache.
Entre les discours de 2002 et de 2009, Jean-Eric Rakotoharisoa, un analyste politique, a remarqué des similitudes de vocabulaire. " Ils emploient tous les deux l'expression "J'ordonne". " C'est le gage d'une autorité personnelle avec le risque d'une dérive autoritariste, ajoutent certains. C'est le reproche adressé au chef de l'Etat. " Il n'écoute pas et n'accepte pas la contradiction ", résume un proche. Le président récuse les accusations de collusion entre ses intérêts privés et l'intérêt général, comme il rejette les critiques sur son intolérance envers les opposants politiques. Il préfère insister sur le développement du pays qu'il conduit.
Lorsqu'ils écoutent les promesses d'Andry Rajoelina sur la place du 13-Mai, nombre d'habitants, qui ont vécu la crise de 2002, ont le sentiment d'entendre M. Ravalomanana. Ils ne savent pas s'ils doivent s'en réjouir.
Sébastien Hervieu

Aucun commentaire: