mardi 3 février 2009

MADAGASCAR TRIBUNE 04/02/09

Editorial
Crise politique

Délégations spéciales ou délégations normales ?
mercredi 4 février 2009, par Patrick A., Valis

Andry Rajoelina a déclaré hier que « la nomination d’un Président de Délégation spéciale (PDS) à la tête de la Commune urbaine d’Antananarivo est de son ressort mais ne relève pas d’un ministre ».

Il va lui-même désigner les chefs de Région et demande à ce que les autres Régions suivent le chemin emprunté par celles qui ont déjà procédé à ce changement. Le chef de Région d’Amoron’i Mania a toutefois démenti cette information car il exerce toujours ses fonctions.

Quoi qu’il en soit, on ne peut qu’être interpellé par le fait que Andry Rajoelina s’arroge des fonctions qu’il n’ose même pas nommer, tout en laissant croire à la population qu’il est l’égal d’un Président de la République sinon le nouveau président de la nation.

Le Maire n’est qu’un Maire...
On conviendra qu’Andry Rajoelina a été élu dans la capitale comme maire. Cependant la Mairie, fut-elle hors catégorie, reste une circonscription parmi les 1546 qui composent le territoire national.

Le fait d’être élu au suffrage universel direct donne certainement une certaine aura, un certain honneur et une autorité sur ses électeurs. Mais l’autorité d’un maire reste limitée à une circonscription électorale.

La personnalité et le charisme peuvent rayonner au-delà de la circonscription mais l’autorité ne peut s’exercer que dans ladite circonscription d’élection. Andry Rajoelina n’est-il pas en train d’usurper des fonctions au nom d’une certaine légitimité acquise partiellement dans la rue ? Et pour se donner une légalité recherchée par la Communauté internationale, ne risque-t-il pas de s’autoproclamer PDS de Madagascar ?

... mais le Maire est le Maire.
Inversement, le camp pro-Ravalomanana vient de donner un nouveau coup sévère aux notions de respect de la Constitution et de la Loi qui ont été jusqu’ici parmi ses principaux arguments.

À partir du moment où la Constitution et les lois prévoient des compétences particulières aux Communes, il n’appartient pas à l’État de s’y immiscer à tout bout de champ et selon son bon vouloir, mais seulement d’exercer un contrôle de légalité a posteriori de leurs actions.

Si la voie des urnes est sacrée pour désigner le Chef de l’État, rien ne permet de dire que la voie des urnes n’est pas moins sacrée pour désigner le maire d’une Commune. Rien dans la loi 94-001 déterminant le fonctionnement des collectivités territoriales décentralisées, ni dans la loi 94-009 portant statut particulier de la ville d’Antananarivo, n’autorise le gouvernement à instituer à sa guise un Président de Délégation Spéciale pour remplacer un maire qui n’est pas démissionnaire et dont l’élection n’a pas été annulée.

Entre reconnaître une légitimité à un ministre de nommer un PDS de commune ou de région, et reconnaître à une foule une légitimité à nommer un PDS de Madagascar, il n’y a qu’un pas. Nous voilà, avec la Communauté internationale, bien embarrassés.

Dans le même ordre d’idée, pourquoi tout ce beau monde persiste-t-il à vouloir nommer des Chefs de Région, alors que la Constitution et la loi prévoient explicitement que ceux-ci doivent être élus ?

Le Président est le Président, mais n’est que le Président
Le fait que presque tout le monde, y compris la fameuse Communauté internationale, ait laissé jusqu’ici commettre toutes ces anomalies montre dans quel état de déliquescence est tombé notre État de Droit.

Ah, le Droit. Une notion bien agaçante par moments. Mais a-t-on inventé quelque chose qui soit mieux adapté au fonctionnement apaisé et durable d’une grande communauté d’hommes ?

Le philosophe Montesquieu a écrit dans les Lettres Persanes : « Quelles que soient les lois, il faut toujours les suivre et les regarder comme la conscience publique, à laquelle celle des particuliers doit se conformer toujours. ». À ce titre, un Président de la République, un Ministre ou un Maire ne sont que des particuliers, certes un peu particuliers.

Et à cet égard, ils ont le devoir et l’obligation de ne pas tordre les lois et leur application selon l’orientation du vent. Nous ne serions peut-être pas dans le bourbier actuel si l’on avait pris garde de ne pas modifier à tout bout de champ les textes régissant notre République.

Montesquieu, toujours lui, a écrit : « La plupart des législateurs ont été des hommes bornés, que le hasard a mis à la tête des autres, et qui n’ont presque consulté que leurs préjugés et leurs fantaisies.

Il semble qu’ils aient méconnu la grandeur et la dignité même de leur ouvrage : ils se sont amusés à faire des institutions puériles, avec lesquelles ils se sont, à la vérité, conformés aux petits esprits, mais décrédités auprès des gens de bon sens. »

Le suffrage universel direct, à remettre sur le tapis ?
Dans un moment de découragement, on peut être amené à se demander si le suffrage universel direct nous convient car le problème semble se ramener à la concurrence entre deux élus au suffrage universel direct. Andry Rajoelina a été élu au suffrage universel direct et selon un mode de scrutin uninominal. Marc Ravalomanana a été élu au scrutin uninominal et au suffrage universel direct par l’ensemble des citoyens répartis dans les 1546 circonscriptions électorales qui composent le pays.

Quand on sait que des électeurs n’ont comme principe dans le bureau de vote que de choisir le premier bulletin qui est proposé sur la table au détriment des autres qui sont alignés ; quand on sait que le choix de certains dépend trop souvent de l’apparence pour ne pas dire de la figure du candidat ; quand on sait que le choix de l’électeur lambda est trop souvent fonction de la couleur du bulletin, qu’elle soit attrayante ou soignée, ou de la qualité du matériel de propagande ; quand on sait la corruption des électeurs est courante ; on s’interroge si l’adoption du suffrage censitaire ou du moins adapté en fonction des capacités scolaires ne serait pas lucide ?

Ce n’est sans doute qu’une aberration, mais qui montre notre état de découragement.

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Politique
Dernières nouvelles
Menace sur les étrangers

mercredi 4 février 2009, par Valis

Les étrangers sont priés de ne pas circuler ce jour. C’est la déclaration de Andry Rajoelina hier soir sur VIVA TV après qu’il ait dénoncé la nomination par le ministre de la Décentralisation, d’un Président de Délégation spéciale (PDS) à la tête de la Commune urbaine d’Antananarivo (CUA). Ces étrangers, a-t-on compris, risquent de subir la colère de la population d’Antananarivo.
Le fait est que Andry Rajoelina appelle les citoyens qui l’ont élu et la population d’Antananarivo à observer un sit-in devant les bureaux de la Mairie à Mahamasina et à Tsimbazaza ce jour. La raison invoquée par Andry Rajoelina est que l’arrêté ministériel qui le destitue de son poste ne respecte non seulement les procédures, mais surtout bafoue le droit fondamental des citoyens qui l’ont élu par les urnes.
Andry Rajoelina annule également sa tournée de sensibilisation dans les ex-faritany. Il devait ce jour arriver à Antsiranana mais probablement qu’il va conduire la contestation dans la capitale. En tout cas, il ordonne à ses partisans de prendre le pouvoir dans les « fokontany ». Il ordonne la fermeture des bureaux des divers arrondissements de la CUA.
Monté sur ses grands chevaux de bataille d’élu, Andry Rajoelina s’est entouré hier soir d’autres élus pour faire comprendre aux électeurs de la capitale, que leur droit est en train d’être foulé au pied par le régime en place. Bref, c’est la dictature qui est en marche, a-t-il déclaré.
Remarquons que Andry Rajoelina n’est pas le seul maire à avoir été l’objet d’une telle mesure administrative. La victime la plus connue est Roland Ratsiraka.

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Politique
Crise politique
Le dialogue est occulté

mercredi 4 février 2009, par Valis

Marc Ravalomanana revient à la charge. Depuis hier, le régime passe à l’offensive après que la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) ait, comme cela était probable, tourné le Maire Andry Rajoelina en dérision.
Les requêtes pour destitution du Maire déposées le 3 février dans l’après-midi ont été déboutées pour non respect de procédures car les fonctions de la HCC sont bien définies dans la Constitution. En d’autres termes, la HCC n’est pas habilitée à juger un président de la République. La HCC se contente de constater la vacance de poste et ordonner la mise en œuvre d’une autre élection présidentielle.
Pendant ce temps, Marc Ravalomanana poursuit sa tournée de démonstration de force et de dénigrement des initiatives de Andry Rajoelina. Hier, à chaque étape, Antsiranana et Taolanaro (Fort-Dauphin), il n’a cessé de prendre un malin plaisir à accuser son rival de crime contre un patrimoine de la nation en mettant le feu à la RNM et la TVM.
Si le chef de l’Etat malgache avait entendu ou lu les articles burkinabe sur cet événement, ses commentaires auraient été pires. Les comportements du chef de l’Etat rappellent ceux de son prédécesseur durant les périodes de crise de 1991-1992 et 2001-2002.
L’écoute est indispensable
En tout cas, le président Marc Ravalomanana, ferait mieux d’écouter le peuple et non l’infantiliser. Il ne s’agit pas seulement de « bouffe ». Le président sénégalais Aboulaye Wade est-il encore écouté par son ami malgache ? Interviewé par des journalistes de RFI à propos de la crise politique à Madagascar, le chef de l’Etat sénégalais dit en substance : « Nous ne pouvons renier la légalité du président Ravalomanana, il demeure président. Mais a-t-il une capacité d’écoute, la question centrale est là ? »
A entendre les propos et le ton du président lorsqu’il rapporte aux populations d’Antsiranana et de Taolanaro les événements qui sont qualifiés de « lundi noir de la capitale », Marc Ravalomanana n’a pas compris les aspirations profondes de ses électeurs et des Malgaches qui l’ont soutenu pendant plusieurs mois sur la Place 13 Mai en 2002.
Oui une partie non négligeable de cette population est déçue et a exprimé son mécontentement en étoffant les rangs des partisans de Andry Rajoelina sur la « Place de la Démocratie » mais aussi à la grande messe du stade couvert de Mahamasina.
Rossy sur la Place du 13 Mai samedi
Doit-on encore courir le risque d’une telle manifestation qui pourrait être plus importante dans les prochains jours ? Car au rythme des escalades verbales et des provocations de part et d’autres, avec en plus cette désignation d’un Président de la délégation spéciale (PDS) à la tête de la Commune urbaine d’Antananarivo, la tension ne peut que monter du côté des partisans de Andry Rajoelina.
L’arrivée annoncée de Rossy samedi prochain sur la Place 13 Mai pour animer le meeting est un autre catalyseur d’une bombe à retardement qui attend son heure pour éclater, si jamais l’écoute et le sens du dialogue sont ignorés.

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> Politique
Lutte populaire
Otrikafo accuse et suggère

mercredi 4 février 2009

Otrikafo appelle à ce que Andry Rajoelina change rapidement de stratégie car un retour de manivelle est possible si la lutte qu’il conduit échoue.
Le président de l’association Otrikafo accuse les conseillers de Andry Rajoelina de confusion et de l’induire en erreur. « Un politicien dépose des requêtes auprès de la Haute cour constitutionnelle alors que le plaignant en personne, Andry Rajoelina, vient de faire un coup d’Etat en s’autoproclamant dans la rue comme dirigeant de la transition. Le politicien en question ne se rend-il pas compte de la contradiction dans laquelle il met Andry Rajoelina ? Il n’est pas étonnant, poursuit-il, si le Boay Kely se comporte de manière incompréhensible et se met en contradiction à plusieurs reprises comme s’il ne savait pas comment conduire le mouvement populaire ».
Andry Rajoelina est volatile
Du point de vue de Otrikafo, Andry Rajoelina est instable et volatile.
Pressé par la communauté internationale, il suit ses recommandations et s’accroche à la légalité constitutionnelle.
Une fois sur la Place 13 Mai, et sous la pression populaire qui revendique la révolution, il adopte cette démarche anti-constitutionnelle.
Or, d’après Otrikako, les deux intérêts, c’est-à-dire ceux de la communauté internationale et ceux du « Vahoaka », sont incompatibles.
Pire, souligne le président de Otrikafo, il ne fallait pas effectuer cette autoproclamation dans la rue tout en accusant Marc Ravalomanana devant la Haute cour constitutionnelle. « N’étant même pas au pouvoir, Andry Rajoelina commet déjà de telles fautes » se désole-t-il. « Poussé par les politiciens vers la « Transition », Andry Rajoelina l’annonce publiquement. Or le « Vahoaka » réclame immédiatement la prise du pouvoir » affirme le président de Otrikafo.
Après avoir fait ce constat, cette association politique suggère pour la conduite de la lutte jusqu’à la victoire finale :
que Andry Rajoelina s’écarte de ces politiciens véreux qualifiés de dinosaures ; que Andry Rajoelina ne se complique pas la vie en considérant les avis de la communauté internationale car elle se pliera tôt ou tard à la volonté populaire comme en 2002 ; enfin et surtout que Andry Rajoelina fasse confiance au « Vahoaka » et aux patriotes.
Recueilli par Valis

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> Opinion
Crise politique
L’historien Jean Fremigacci, très pessimiste

mercredi 4 février 2009

Une interview intitulée « Madagascar ou l’éternel retour de la crise » en date du 1er février dernier, interpelle sur le sort de la nation malgache. Il laisse perplexe et fait sérieusement réfléchir sur ce qui se produit aujourd’hui dans le pays.
Reconnu comme l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire malgache, Jean Fremigacci interviewé par Jérôme Talpin, « considère que cette crise est avant tout celle d’un régime discrédité par plusieurs affaires. L’historien remarque aussi que la Grande Ile est régulièrement touchée par ce genre de révolte populaire. Dans un contexte de crise, le pays aura cette fois beaucoup de mal à s’en relever ».
La crise était inévitable
Jean Fremigacci estime que les affaires évoquées sur la Place 13 Mai ne sont que les « catalyseurs d’un mécontentement social profond qui a donné son ampleur au mouvement sur lequel surfe Andry Rajoelina. La perte d’autorité du pouvoir a alors ouvert la voie au pillage en deux temps. D’abord, expression d’une condamnation, le pillage ancestral, rituel et probablement organisé qui détruit les biens et les signes mêmes de la présence du pouvoir déchu (magasins Magro, Radio et télévision nationale, etc.). Ensuite le pillage « moderne » par le prolétariat urbain misérable qui échappe à tout contrôle. Je ne crois guère à la thèse du complot planifié par les Ratsirakistes qui a cours dans certains cercles de la grande bourgeoisie de Tana, et qui présente Rajoelina comme un simple homme de paille de l’ancien président. La crise aurait pu n’éclater que dans deux ou trois ans, mais les erreurs de Ravalomanana ont créé les occasions pour qu’elle survienne plus tôt que prévu ».
Un pouvoir, depuis toujours oligarchique
En tout cas, l’historien identifie un mal profond qui ronge et qui corrompt les dirigeants qui accèdent au pouvoir.
Il s’agit des « maîtres traditionnels du pays depuis l’oligarchie du XIXe siècle jusqu’à l’oligarchie coloniale et à celle des Républiques qui ont suivi, qui se sont régulièrement taillé des rentes de monopole en profitant du pouvoir pour s’emparer des meilleures affaires. Si au lieu de tout verrouiller, Marc Ravalomanana avait libéré l’esprit d’entreprise comme il l’avait promis, Andry Rajoelina n’aurait peut-être jamais fait de politique. Maintenant, s’il arrive au pouvoir, peut-être que ce dernier évoluera de la même façon… »
Beaucoup d’espoirs, notamment ceux des entrepreneurs, reposaient sur les épaules de Marc Ravalomanana à l’époque. Autant sinon plus reposent aujourd’hui sur ceux de Andry Rajoelina. Mais savent-ils que le politique qui représente l’oligarchie ascendante qui attend son heure peut, au moment venu, confisquer toute plus-value jusqu’à l’explosion périodique, et ensuite remettre tout en cause pour recommencer à nouveau dans la rue ?
En tout cas, les appréciations de Jean Fremigacci, cet ancien de Madagascar, ne sont pas en faveur du développement de Madagascar.
Il est pessimiste : « Chaque crise laisse une ardoise, et celle de la crise en cours risque d’être particulièrement salée ». Le contexte mondial est en effet très défavorable à un rapide redressement.
Recueilli par Valis

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