vendredi 22 janvier 2010

De l'Inde à Madagascar, d'île en île à tire-d'aile - NOUVELOBS.COM | 21.01.2010 | Christophe Thébaud, du Laboratoire évolution et diversité biologique (Université Paul Sabatier de Toulouse/CNRS:revueCladistics/// Ben Warren (Cirad/ université de la Réunion),


La perruche de Maurice, une espèce aujourd'hui très menacée qui a colonisé l'île Maurice à partir de l'Asie il y a quelques millions d'années. (Dennis Hansen)


De l'Inde à Madagascar, d'île en île à tire-d'aile - NOUVELOBS.COM  21.01.2010

Pourquoi sur l’île de Madagascar de nombreuses espèces ont-elles des origines asiatiques? Parce qu’elles ont voyagé à travers l’océan Indien, selon une nouvelle étude qui montre que des îles auraient émergé à certaines périodes. Comme des pierres affleurant à la surface d’une rivière, elles auraient aidé des espèces à traverser la mer.

Aujourd’hui près de 4.000 kilomètres séparent Madagascar des côtes indiennes. Pourtant, pour de nombreuses espèces animales ou végétales de la Grande île et de ses voisines (la Réunion, Maurice, les Comores, les Seychelles), les plus proches parents ne se trouvent pas sur le continent Africain mais en Asie.
Cette bizarrerie a intrigué les naturalistes dès le 19ème siècle. Ils ont imaginé des scénarios de voyages des espèces à travers l’océan. Ces hypothèses ont été balayées dans les années 60 par la théorie de la tectonique des plaques, qui apportait une belle explication. L’Afrique, Madagascar et l’Inde sont les pièces d’un ancien continent, le Gondwana, qui s’est ensuite morcelé. La grande île s’est d’abord séparée de l’Afrique au Jurassique puis de l’Asie au Crétacé, il y a 80 à 90 millions d’années. Des espèces souches auraient donc été séparées par l’océan Indien, donnant naissance à de nouvelles espèces de chaque côté de cette barrière géographique grandissante.Oui mais voilà: ce scénario est à son tour remis en question par des travaux de biologie évolutive, au profit de l’ancienne idée de dispersion!
Temps géologique et horloge moléculaire
«A partir des années 1990, les phylogénies moléculaires, qui permettent d’établir des degrés de parenté évolutive, ont montré que pour beaucoup d’espèces le niveau de différenciation n’était pas compatible avec une séparation d’au moins 80 millions d’années» explique Christophe Thébaud, du Laboratoire évolution et diversité biologique (Université Paul Sabatier de Toulouse/CNRS), l’un des auteurs d'une nouvelle étude sur Madagascar publiée dans la revue Cladistics.
Avec l’amélioration de la technique de l’horloge moléculaire, qui évalue le temps qui sépare deux individus d’après le nombre de mutations accumulées sur leur génome, il est clairement apparu que les deux échelles de temps, géologique et moléculaire, ne coïncidaient pas.
«Finalement l’hypothèse de la séparation par la tectonique des plaques ne fonctionne que pour un très petit nombre d’organismes de Madagascar et de sa région, analyse Christophe Thébaud. Elle serait par exemple valable pour deux groupes de grenouilles, peut-être trois, mais elle est très discutée pour les poissons et ne fonctionne pas du tout pour les oiseaux». (1)
Des îles apparaissent
Les perruches, les salanganes, les petits hiboux ou les oiseaux lunettes de Madagascar, se sont séparés de leurs cousins asiatiques "récemment", il y a 500.000 à quelques millions d’années.
Avec Ben Warren (Cirad/ université de la Réunion), Thébaud et ses collègues ont recueilli des données très précises sur la topographie des fonds marins de l’océan Indien, obtenues notamment à partir de mesures effectuées par des satellites. Ils les ont combinées avec des études de paléoclimatologie qui montrent que, sur les 450.000 dernières années, le niveau de l’océan Indien a baissé à six reprises d’environ 150 mètres, parfois pendant plusieurs dizaines de milliers d’années.
En tenant compte de la hauteur actuelle des chaînes de montagnes sous-marines de la région, les chercheurs montrent que des îles émergent régulièrement entre l’Inde et Madagascar lorsque le niveau baisse, et cela depuis environ 30 millions d’années.
«On voit même apparaître de grandes îles qui ont pu héberger des espèces sur de longues durées et être la source de nouvelles espèces» précise Christophe Thébaud. Ce mécanisme pourrait par exemple expliquer pourquoi le fameux dodo de l’île Maurice, désormais disparu, est très différent de son plus proche cousin connu: un pigeon des îles Nicobar, situées dans le Golfe du Bengale, au large des côtes birmanes!
Cécile Dumas
Sciences-et-Avenir.com
18/12/09
(1) Les mammifères de Madagascar, comme les lémuriens, ne sont pas concernés: ils sont d’origine africaine. Pour autant, leur traversée du canal du Mozambique demeure une énigme.
(lire En radeau jusqu'à Madagascar)

Travaux de Christophe Thébaud,sur Madagascar,en ligne
Travaux de Ben Warren madagascar,en ligne

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