vendredi 6 mai 2011

Toibibou Ali Mohammed, La transmission de l’islam aux Comores 1933-2000, Paris, L’Harmattan, 2008

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Présentation de Blanchy Sophie
Ce livre d’un jeune Comorien doctorant en histoire n’est pas le premier sur l’islam comorien, mais il retient l’attention par la manière concrète dont il situe la transmission des connaissances et des pratiques dans le contexte social et historique. Celui-ci couvre notamment la période coloniale (1886-1975) et un bref régime marxiste (1975-1978). L’islam, religion présente dans l’archipel depuis neuf siècles, est décrit à travers les écoles religieuses et leur enseignement dans la ville de Mbeni, tenue pour un de ses centres. La transmission du savoir se fait au sein d’affiliations qui se développent en réseaux, créant ou renforçant des liens sociaux que ce livre permet de mieux comprendre grâce à la mise en scène de nombreuses personnalités religieuses.

 Des entreprises novatrices témoignent des projets éducatifs de leurs fondateurs et des problèmes spécifiques à une époque ou à un domaine : niveau de l’éducation religieuse et de celle de la langue arabe, baisse de la pratique, encadrement des jeunes, formation supérieure des maîtres eux-mêmes, relations avec d’autres centres de l’islam. L’école coranique al-Azhar, créée en 1933, rompt avec un modèle éducatif millénaire. Puis l’association Ansar, qualifiée de véritable « police religieuse », se crée vingt ans plus tard pour contrôler et encourager la pratique, et limiter les dépenses coutumières du Grand mariage. La ville de Mbeni est sévère : le rituel infâmant du gungu, réservé aux fautes graves comme l’inceste, sera encore appliqué en 1998 à un habitant de Mbeni persistant à négliger la prière. Ansar se transforme en association de la « solidarité islamique » et, sous le régime révolutionnaire de 1975-1978, crée un centre islamique, vite contraint à fermer. L’association se tourne alors vers l’aide sociale, puis vers l’enseignement avec un collège, en 1991, et un lycée, en 1996, classé au troisième rang des résultats au baccalauréat derrière deux écoles privées, tandis que le système éducatif public est sinistré. Face à cette équipe dont certains membres, diplômés des universités arabo-islamiques, ne sont pas insensibles à l’idéologie wahhabite, la fondation, en 1993, de l’école coranique al-Arqam se situe dans la continuité d’al-Azhar où avait été formé son dirigeant. On y trouve l’écho des débats qui agitent le monde éducatif et les familles sur la gestion du plurilinguisme, l’enseignement de la langue arabe en préalable à celui des textes religieux ou l’expression de l’autorité parentale.
L’enseignement du tafsīr (commentaire du Coran), degré plus élevé encore que le cours supérieur du fiqh (jurisprudence, pratique), est réservé au petit nombre qui maitrise parfaitement la langue arabe. C’est avec le retour des diplômés, surtout ceux revenant de Médine, dans les années quatre-vingt, que les leçons de tafsīr du mois de ramadan se sont généralisées dans les mosquées de l’île. Les premières leçons de tafsīr furent données à Mbeni, dès 1926, par Ahmad Qamardine, personnage au sujet duquel l’auteur de ce livre prépare une thèse d’histoire. Cultivé et polyglotte, traducteur pour le Gouvernement colonial de Madagascar et dépendances, représentant des différentes communautés sunnites de la colonie, Qamardine a étudié le tafsīr pendant six mois à Maurice, auprès des imams saoudiens qui dirigeaient la Grande mosquée de Port-Louis, avant d’aller donner sa première leçon dans sa ville de Mbeni. À cause de leur forte tradition d’étude de l’islam scripturaire, les gens de Mbeni se montrèrent les plus réticents à l’accueil des confréries musulmanes – l’auteur cite des fiançailles rompues parce que le jeune homme avait participé à un dayira.
Cette chronique de l’expansion et de la transmission de l’islam révèle la place d’une esthétique de la voix dans la pratique comorienne. Un compositeur chanteur de qasida (poème) reçoit en mariage la fille aînée d’un sharîf ému par sa prestation. Les hymnes confrériques ou les lectures des maulid (naissance du Prophète) sont une occasion d’identifier des voix exceptionnelles chez les jeunes. C’est ainsi que fut remarqué celui qui est actuellement muezzin à la Mosquée de Paris. Partout, les Comoriens brillent dans l’art du tajwīd (récitation psalmodiée du Coran).
Les portraits de maîtres et de savants donnent une image vivante et chaleureuse de ces musulmans humanistes et tolérants, ouverts autant sur l’Orient que sur l’Occident. Ces biographies s’inscrivent dans les rythmes migratoires qui scandent l’histoire des Comores : Zanzibar, Madagascar, aujourd’hui la France où la communauté organise l’éducation religieuse de ses jeunes. Le radicalisme de certaines universités arabo-islamiques, où vont se former de nombreux Comoriens, provoque quelques tensions entre les savants eux-mêmes. Mais l’islam comorien s’est gardé de ce danger, comme il n’a cessé de dénoncer les dépenses abusives du système d’échange du Grand mariage.
 Ce livre fait dialoguer de manière très heureuse les données issues des enquêtes et celles des archives coloniales ou des références utilisées, dont on apprécie la variété, pour dresser un tableau inscrit dans la durée, non pas d’un islam abstrait, mais des personnes et des réseaux familiaux et régionaux qui le (re)produisent et le transmettent. On peut se demander finalement si la ville de Mbeni, emblématique de cet islam comorien, en est aussi représentative ou s’il agit d’un cas particulier. D’autres villes apparaissent, cependant, liées à Mbeni par les affiliations religieuses et les alliances matrimoniales.
L’éclairage porté, ici, sur la force des réseaux religieux majoritairement masculins, en particulier ceux des sharîf, patrilinéaires, amène à s’interroger sur leur articulation avec les matrilignages et avec le système d’âge. En effet, la société de la Grande Comore est matrilinéaire et organisée en classes d’âge masculines dans chaque cité, deux institutions que l’auteur aurait dû présenter d’emblée afin de mettre en valeur l’intérêt de son propos. Les réseaux qu’il décrit s’appuient sur le lien père-fils et maître-élève, ce dernier devenant rapidement un lien beau-père/gendre, alors que la relation entre oncle et neveu est au centre de la transmission dans l’organisation matrilinéaire et matrilocale.
On regrette les défauts de l’édition : mot ou phrase manquants (pp. 59, 132), imprécisions et mal-dits, photos déformées ou sans légende, etc. La bibliographie ne reprend pas tous les travaux cités, et la liste des enregistrements ne distingue pas clairement ceux faits par l’auteur des autres.
POUR CITER CET ARTICLESophie Blanchy « Toibibou Ali Mohammed, La transmission de l'islam aux Comores (1933-2000) », Archives de sciences sociales des religions 4/2009 (n° 148), p. 76-342.
URL : www.cairn.info/revue-archives-de-sciences-sociales-des-religions-2009-4-page-76.htm.







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