jeudi 3 octobre 2013

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Les superpouvoirs de Joyce Carol Oates

LE MONDE DES LIVRES | • Mis à jour le | Par

Elle peut tout faire. Nouvelles, poésie, polars, romans gothiques ou d'horreur, inspirés de faits divers (Les Chutes, Stock, 2005 ; Petite soeur mon amour, Philippe Rey, 2009) ou de la vie d'une star (Blonde, Stock, 2000), sous son nom ou l'un de ses pseudonymes (Rosamond Smith, Lauren Kelly)... Depuis son entrée en littérature, dans les années 1960, Joyce Carol Oates n'a cessé de démontrer son talent fou, sa puissante virtuosité, à raison de plusieurs publications, parfois, par an. A ce jour, cependant, son oeuvre tentaculaire ne comprenait pas encore de livre de super-héros. Le splendide Mudwoman vient combler ce manque. Avec son personnage sorti de la boue (mud, en anglais), Joyce Carol Oates fait de l'or.
Pas question de types en collant décidés à sauver le monde, ou d'accorte justicière à lasso : de la catégorie à laquelle ressortit son nouveau roman, l'auteur se contente de glisser, sans en faire des tonnes, quelques indices, dont le plus évident est le titre. Mudwoman, c'est Meredith Ruth Neukirchen, dite "M. R.", présidente d'une grande université américaine. En octobre 2002, quand s'ouvre le texte, les débats font rage dans son pays autour d'une future intervention en Irak ; elle, à 41 ans, revient dans les Adirondacks, la région désolée où elle a grandi, à l'occasion d'un discours à prononcer devant une prestigieuse assemblée. Pour la première fois de sa vie, la si travailleuse, si contenue et si fiable M. R., la super-héroïne du surmoi, sort des sentiers battus et de ce que l'on attend d'elle, pour prendre la voiture au lieu de se préparer ; elle roule vers la Black Snake River. Là, elle commence à s'embourber dans les souvenirs qu'elle a toujours tenté d'éviter. Ceux de la "Mudgirl" qu'elle fut : Jenina, abandonnée à 3 ans par une mère fanatique dans les marais de cette rivière, et sauvée in extremis par un simplet du coin. D'abord envoyée dans une famille d'accueil où régnait la brutalité, puis adoptée par un couple d'aimables quakers, bien décidés, selon leur idéal religieux, à voir "la victoire de la Lumière sur la confusion et la dissension", elle a été rebaptisée et élevée dans le déni de son passé.
PERDRE PIED ET RAISON
Lequel, au fil des mois qui vont suivre cette première sortie de route, ne va cesser de la rattraper, "au risque de l'engloutir", tandis que s'annonce, puis se déclenche la guerre en Irak. Les chapitres consacrés à l'existence présente de M. R./Mudwoman, à ses combats quotidiens à l'université – contre le machisme et le conservatisme, contre elle-même, surtout – alternent avec ceux qui racontent sur le mode du conte les premières années de "Mudgirl" – selon un schéma narratif récurrent dans les livres de super-héros. Leurs titres montrent avec quelle malice Joyce Carol Oates inscrit son roman dans la veine des comic books : "Mudwoman affronte un ennemi. Le triomphe de Mudwoman" ; "Mudgirl : trahison" ; "Mudwoman précipitée sur Terre" ; "Mudwoman : les lunes au-delà des anneaux de Saturne"... Et puisque les livres de super-héros, toujours à cheval entre une chronologie cyclique, éternelle, et une autre, linéaire, historique, jouent systématiquement sur différentes temporalités, le sujet est aussi au coeur de Mudwoman : c'est la superposition soudaine des périodes de son existence qui fait perdre pied et raison à son héroïne. Joyce Carol Oates affirme l'importance du thème dès l'un des exergues : "Le temps terrestre est une façon d'empêcher que tout n'arrive en même temps." La phrase est empruntée à un certain Andre Litovik... lequel, astronome de son état, est une invention de l'auteur : "l'amant (secret)" – il est toujours présenté ainsi – de M. R. depuis ses études à Harvard.
Il était logique, au fond, que Joyce Carol Oates en vienne à s'intéresser à ce genre si particulier. Pas pour livrer un tour de magie ou faire ses gammes dans un style nouveau, histoire de se distraire. Mais parce que toute son oeuvre est hantée par la sauvagerie et ses surgissements dans la vie conjugale, familiale, politique ou sociale (les nouvelles de Cher époux, qui paraissent en même temps que Mudwoman, en donnent un bon aperçu), de la même manière que les aventures de Superman et assimilés mettent toujours en scène le combat entre les ténèbres et la lumière. Son roman est entièrement structuré autour de cette lutte. Entre les ténèbres où M. R. est née et la religion de la "lumière" où elle a été élevée – oscillant, à l'égard de ses parents adoptifs, du froid mépris à l'amour filial. Entre l'obscurité où sombre son esprit et sa foi dans la transparence. La folie ne gagne pas de terrain seulement en elle : c'est aussi le cas dans tout le pays, où s'affrontent pro- et anti-guerre. Avec ce roman si "oatésien" dans ses thématiques et ses images, si nouveau dans le genre qu'il explore, la grande dame des lettres américaines fait, à 75 ans, une nouvelle démonstration de ses superpouvoirs littéraires.
Mudwoman, de Joyce Carol Oates, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Claude Seban, Philippe Rey, 576 p., 24 €.
Signalons, des mêmes auteur et traducteur, la parution d'un recueil de nouvelles,
édition abonné

http://dadabecdtexte.blogspot.fr/2013/06/oates-joyce-carrol-mudwoman-16-cd.html

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