mardi 26 novembre 2013

A Madagascar, les criquets migrateurs ravagent les récoltes de riz et de maïs Le Monde 27 nov. 2013 Sébastien Hervieu

27 novembre 2013
REPORTAGE

A Madagascar, les criquets migrateurs ravagent les récoltes de riz et de maïs


Pulvérisation d?insecticide dans le village de Soatanimbary, dans l?ouest de Madagascar, dans le cadre d?une campagne contre l?invasion de criquets.
CLAREL FANIRY RASOANAIVO/REUTERS
Tsiroanomandidy (Madagascar) Envoyé spécial
En un mois, 35 000 hectares ont été traités dans la Grande Ile, dont 17 régions sur 22 sont touchées

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Un sac en plastique et une branche d'arbre… C'est avec ces deux armes dérisoires qu'un couple de paysans malgaches s'échine à chasser les centaines de milliers de criquets qui se déplacent vers son champ de riz. " C'est la troisième fois en un mois que ces bestioles s'approchent jusqu'ici ; j'ai peur de tout perdre ", confie Razafindradaoro.
Le salut de ce père de quatre enfants pourrait venir du ciel. Volant à une dizaine de mètres de hauteur, un hélicoptère pulvérisera bientôt de l'insecticide dans cette région de Tsiroanomandidy, dans le centre de Madagascar, afin d'éliminer les larves d'un centimètre de long qui envahissent les cultures et détruisent les récoltes.
Depuis début novembre, 35 000 hectares ont été traités dans la Grande Ile. L'objectif, d'ici à un an, est d'atteindre le million d'hectares. D'un coût total de 41,5 millions de dollars (30,6 millions d'euros), ce programme de lutte antiacridienne sur trois ans, mené par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et le gouvernement malgache, vise à mettre fin à l'invasion de criquets, qui touche 17 des 22 régions de Madagascar.
En octobre, la FAO et le Programme alimentaire mondial ont tiré le signal d'alarme : près de 4 millions d'habitants des zones rurales sont désormais en situation d'insécurité alimentaire.
" La récolte de riz, aliment de base des Malgaches, a baissé de 20 % par rapport à 2012, constate Alexandre Huynh, coordinateur des opérations d'urgence dans le pays pour la FAO. Il est difficile d'isoler l'impact des criquets, car la chute de la production est aussi liée à des conditions météorologiques irrégulières, mais dans certaines régions, les criquets ont tout ravagé. " Pesant entre 2 et 3 grammes, le criquet migrateur malgache mange chaque jour trois fois son poids. Un petit essaim d'un million de locustes dévore jusqu'à 9 tonnes de matières végétales par jour.
Exploitant 2 hectares de riz et 5 hectares de maïs, Zoemboasi n'oubliera pas cette journée de février. " Les criquets sont arrivés à l'aube, c'était un nuage de 5 km de long sur 3 km de large, et en cinq minutes, la plupart de mes cultures étaient foutues. " Au lieu des 7 tonnes de riz qu'il produit habituellement, il n'en récolta, en avril, que deux. " Ce fut ma pire année depuis vingt ans, résume-t-il, j'espère que l'hélico qui lutte contre les criquets passera par ici. "
Pour limiter la prolifération, la FAO tente d'intervenir en amont, quand les criquets ne sont que des larves. " Nous faisons un traitement en barrière, c'est-à-dire que nous aspergeons de pesticide des bandes de végétation tous les 500 m. Une fois que les larves les mangent, elles sont empoisonnées et ne peuvent plus se reproduire, décrit Tsitohaina Andriamaroahina, expert de la FAO. Cela permet de traiter seulement un hectare pour en protéger cinq et de réduire les coûts, mais il ne faut pas se tromper car ces petites bêtes n'arrêtent pas de bouger. "
Pour communiquer précisément au pilote d'hélicoptère la localisation des bandes larvaires, l'acridologue parcourt avec son équipe entre 2 000 et 3 000 km par mois, après avoir repéré, sur des cartes, des corridors dans lesquels les conditions d'humidité sont favorables au développement des criquets.
Ce jour-là, au bout de deux heures de piste, les deux 44 s'arrêtent. Devant eux, une bande est en train de traverser la route. GPS à la main, un homme en combinaison bleu marine fait le tour de la colonie de criquets. " Elle fait 15 000 m2, et il y a 200 individus par mètre carré ", indique-t-il.
Un peu plus loin, un habitant muni d'une serpe arrête le convoi. " Il y en a là-bas ! ", crie-t-il en pointant le doigt vers le nord. A 1,5 km, un autre essaim surgit au détour d'un virage. " L'aide des villageois est précieuse, mais parfois, ils nous donnent volontairement des mauvaises directions car ils ont peur de l'étranger ou que nous détruisions leurs cultures, précise Tsitohaina Andriamaroahina. L'autre difficulté de notre travail est l'insécurité : on ne peut pas se rendre dans les zones rouges du grand sud du pays où les voleurs de zébus - dahalos - sont armés. "
Si le financement du programme de lutte triennal parvient à être bouclé (il manque 15 millions de dollars sur 41,5 millions), les criquets seront de nouveau cantonnés dans leurs zones traditionnelles, dans le sud du pays.
" A plus long terme, il faut travailler sur la prévention pour ne pas laisser la population de criquets exploser et migrer dès qu'il y a des conditions météorologiques favorables, insiste Alexandre Huynh, de la FAO. Nous ne dépenserions pas aujourd'hui des sommes considérables si, les années passées, nous avions fait des traitements préventifs sur 100 000 hectares, dix fois moins que ce que nous sommes obligés de traiter maintenant. "
Sébastien Hervieu

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