lundi 25 novembre 2013

Les agences AFP et Getty condamnées à dédommager un photographe haïtien KARL MELANDER Le Monde 26 nov.

 
26 novembre 2013

Les agences AFP et Getty condamnées à dédommager un photographe haïtien


Le photographe Daniel Morel à Haïti, juste avant le tremblement de terre du 12 janvier 2010.
KARL MELANDER
Un tribunal américain les oblige à verser 1,22 million de dollars pour violation du droit d'auteur

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C'est une défaite cuisante pour deux des plus grandes agences de photo du monde, et un jugement qui fera date dans l'histoire des réseaux sociaux. Samedi 23 novembre, un jury américain a condamné l'Agence France- Presse (AFP) et l'agence Getty à verser conjointement 1,22 million de dollars (plus de 900 000 euros) de dédommagement au photojournaliste Daniel Morel pour avoir " volontairement " violé ses droits d'auteur.
En janvier 2010, les deux agences avaient diffusé à leurs clients, sans l'autorisation préalable du photographe, ses images du tremblement de terre à Haïti, qu'il avait postées sur Internet, par le biais du site Twitter.
" M. Morel est ravi et se sent conforté par le verdict, a expliqué au téléphone son avocat, Joseph Baio. Il espère qu'à l'avenir une telle chose ne pourra plus arriver à d'autres photojournalistes. "
L'histoire remonte au 12 janvier 2010, lorsqu'un tremblement de terre secoue l'île d'Haïti, causant 200 000 morts. Le photographe haïtien Daniel Morel, 59 ans, ancien correspondant de l'agence Associated Press, est l'un des seuls à pouvoir prendre et transmettre des images au milieu du chaos. Il crée un compte sur le site Twitpic, qui permet de partager des photos, y place treize de ses images et s'en fait l'écho sur Twitter – avec l'idée de les vendre.
Un internaute de République dominicaine, Lisandro Suero, se les approprie et les met sur son propre compte. C'est là que l'AFP les découvre. L'agence en récupère huit et les distribue à tous ses clients, sous le mauvais nom – Lisandro Suero. Elles font ensuite le tour de la presse mondiale, dont Le Monde. L'agence Getty, qui a un partenariat avec l'AFP, les distribue à son tour à tous ses abonnés.
Le photographe va ensuite se retourner contre les médias qui ont diffusé ses images sans permission. Il engage une avocate new-yorkaise et négocie un arrangement avec nombre d'entre eux. Mais pas Getty ni l'AFP – cette dernière va porter plainte contre M. Morel pour procédure abusive, arguant que le photographe, en utilisant Twitter, avait implicitement cédé ses droits sur ses images.
A l'issue d'une première procédure en janvier (Le Monde du 19 janvier 2013), la justice américaine avait déjà jugé les deux agences coupables de violation du droit d'auteur. Restait à statuer sur le caractère volontaire de l'infraction, ainsi que sur le montant des dommages et intérêts accordés au photographe. Après sept jours de procès, le verdict est tombé, sévère. Le tribunal n'a pas suivi l'AFP dont l'avocat, Joshua Kaufman a plaidé la bonne foi et tenté de montrer que l'agence n'avait pas agi sciemment, qu'elle avait essayé à l'époque de contacter M. Morel et d'acheter ses photographies.
Les jurés n'ont pas non plus été convaincus par l'agence Getty, dont l'avocat a expliqué que les photos avaient été relayées par l'AFP de façon automatique et combien il était difficile, une fois les images diffusées, de les supprimer des sites Internet. Les deux agences ont aussi donné leur propre évaluation des pertes subies par M. Morel : selon elles quelques milliers de dollars.
Le tribunal a non seulement jugé que l'infraction avait été volontaire, mais il a accordé au photographe les indemnités maximales possibles, soit 150 000 dollars par image. Il a aussi conclu que les agences avaient contrevenu au Digital Millennium Copyright Act (loi du millénaire sur le droit d'auteur numérique) et accordé 20 000 dollars à ce titre au photojournaliste. Ces sommes pourraient augmenter si les avocats de M. Morel décident de réclamer le remboursement des frais de justice.
L'histoire illustre le flou qui a accompagné la montée en puissance des réseaux sociaux, qui voient aujourd'hui circuler chaque jour des millions d'images. En 2010, on y trouvait surtout des images amateurs au statut flottant. Peu de professionnels utilisaient ce système.
Depuis, nombre d'entre eux s'en sont emparés. Et la question de la propriété des images sur les réseaux sociaux s'est posée avec acuité même pour les amateurs : le site Instagram a essuyé des critiques, en 2012, après avoir élargi les possibilités d'utilisation des images postées par les internautes.
Contactée par Le Monde, l'AFP a refusé de faire des commentaires. Les deux agences gardent la possibilité de faire appel du jugement.
Claire Guillot
© Le Monde

 

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