lundi 10 février 2014

Dadabe nu cru bestial : chien enragé !

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11 février 2014 Katerina Fotinaki
DANSE

Nu, cru, animal : l'amour vu par Dave St- Pierre

 http://abonnes.lemonde.fr/culture/article/2014/02/10/nu-cru-animal-l-amour-vu-par-dave-st-pierre_4363217_3246.html


" Foudres ", dernier spectacle de Dave St-Pierre, joue en alternance avec les deux autres pièces de la trilogie " La Pornographie des âmes " (2004) et " Un peu de tendresse bordel de merde ! " (2006). WOLFGANG KIRCHNER
Le chorégraphe

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Vous avez dix secondes pour prendre une photo de mes fesses  !  " Et hop, il se retourne, baisse le pantalon. "  Attendez  ! ", crie une jeune femme qui n'a pas eu le temps de dégainer. Trop tard, tout est remballé. Bye, bye, les fesses du chorégraphe Dave St-Pierre  ! Le spectacle Foudres, à l'affiche samedi 8 février, du Théâtre de la Ville, à Paris, commence.
C'est parti  et c'est énorme. Des fesses, on ne risque pas d'en manquer ! Ils sont vingt-neuf danseurs, hommes et femmes, à poil sur le plateau comme dans toutes les pièces du Canadien, repéré en 2007 aux Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis. Mais attention, le barbu en sweat-shirt et bonnet a insisté et a même quasiment engueulé le public : à part pendant les dix secondes citées, interdiction de photographier. Certains des interprètes se sont déjà retrouvés affichés sur des sites porno. C'est pour cette raison que le chorégraphe a payé cash de son corps en introduction au spectacle.
La nudité chère à Dave St-Pierre est celle de l'humain dans son plus simple appareil, naissance et mort, enfance, animalité, sexe et vie, qui déferlent sur le plateau en gueulant fort. Dans Foudres (2012), une paire d'ailes blanches apparente les interprètes à des anges fort peu bibliques. Ils foutent le bazar, cassent tout avec une férocité joyeuse. Entre la cour de récré, la séance de thérapie collective, le grand cri primal, la partie de jambes en l'air appliquée à une poupée gonflable et un supermâle pioché dans le public, un Sacre du printemps très corrigé, et j'en passe, Foudres non seulement foudroie, mais en bouche un coin.
La puissance cinglante, instable et pourtant toujours excitante du spectacle réside dans sa façon de passer par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel (et le public aussi !) sans que l'on mesure parfois exactement ce que l'on est en train de voir  et comment l'apprécier. Comique, grotesque, crudité, sentimentalisme, vulgarité, gravité, se balaient d'un revers de main sans arrêt. A la seconde près parfois, la situation qui semblait hystériquement dingue, bascule dans l'angoisse et l'horreur. Le sacrifice de l'amoureux au milieu de son bouquet de roses blanches  se retourne plus vite qu'une crêpe du ridicule au tragique. Et ainsi de suite, cette cascade de sensations paradoxales et opposées fait de Dave St-Pierre un émule de Jean qui rit et Jean qui pleure.
Foudres reconduit le thème du pouvoir de l'amour déjà au travail dans La Pornographie des âmes (2004) et Un peu de tendresse bordel de merde (2006), qui composent, avec Foudres, une trilogie. Sur des percussions ou des chansons de Sarah Vaughan et Ella Fitzgerald, ce troisième volet recycle frontalement les idées d'autres artistes. Il pompe Jan Fabre pour l'architecture des tables et le sang, Pina Bausch dans une séance de bal en robe longue, Wim Vandekeybus pour les plans d'ensemble dansés par des interprètes comme des boulets de canon. Mais aussi repérables soient ces emprunts, Dave St-Pierre les embarque dans une marée d'humeurs et de gestes qui les débordent sans leur manquer curieusement de respect.
Comme dans ses précédentes pièces, Dave St-Pierre, qui a créé sa compagnie en 2004, semble jouer son va-tout frénétiquement, sans économie ni assurance-vie, sans stratégie non plus. Est-ce le fait qu'il soit gravement malade  ? Il souffre d'une fibrose kystique et a subi une greffe des deux poumons en 2009. Peut-être. Son tempérament presque agressif, un peu désespéré, tellement fonceur, s'y est sans doute aiguisé.
Pour la semaine de la Saint-Valentin, Foudres est une fête des amoureux à tout casser, bave, sang et sexe, mélangés dans une étreinte vociférante. Du vivant bien rude, lucide mais qui tient chaud. Foudres joue en alternance avec les deux autres pièces de la trilogie. Se faire la totale Dave St-Pierre, pourquoi pas ! Un défouloir orgiaque et joyeux, partageur en plus, n'est pas monnaie courante au théâtre.


Rosita Boisseau
La Pornographie des âmes,
10 et 14 février.
Un peu de tendresse bordel de merde  !,
11 février.
Foudres,
12 et 15 février. Théâtre
de la Ville, place du Châtelet, Paris 4e. Jusqu'au 15 février. 20 h 30.
Tél. : 01-42-74-44-22. De 16 € à 26 €.
© Le Monde

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