mardi 8 juillet 2014

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biologie

Un modèle d'étude troublant

Les chercheurs pensaient avoir trouvé des alliés pour démêler la part de l'inné et de l'acquis dans l'expression des caractères et des maladies, mais ces clones naturels se révèlent plus insondables que prévu

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"Je rêve, avec naïveté, d'une osmose qui ne s'embarrasserait ni de mots ni de gestes, ne réclamerait pas de preuves, sur laquelle le temps n'aurait pas de prise, devrait tout à la nature et si peu à la culture. Une osmose amniotique. " N'avons-nous pas tous été parfois tentés par ce fantasme ? Ce n'est pourtant pas un " sans pareil " qui s'exprime ici, mais un " frère pareil ", nostalgique et dépossédé. Dans Olivier (Gallimard, 2011), l'écrivain Jérôme Garcin raconte comment il a dû grandir avec la présence fantomatique de son frère jumeau, disparu la veille de ses 6 ans. De tout temps, les jumeaux ont fasciné, stupéfié, effrayé parfois. Sur tous les continents, ils ont fait l'objet de mythes fondateurs. Tantôt sacralisés, tantôt diabolisés, ils offrent un jeu de miroirs aussi captivant que déroutant.
Mais, depuis près de cent  cinquante  ans, " frères et sœurs pareils " passionnent aussi les biologistes. " Les jumeaux sont des miracles de la nature, s'émerveille le professeur Bruno Falissard, pédopsychiatre, biostatisticien et directeur de l'unité Inserm " santé mentale et santé publique ". Ces clones naturels constituent des modèles d'une pureté extraordinaire, pour qui tente de démêler la part des facteurs génétiques et environnementaux dans l'expression d'un caractère ou d'une maladie. " Ces modèles ont rencontré un vif succès, mais des voix s'élèvent aujourd'hui pour en montrer les limites. Leur principe : analyser les concordances entre cojumeaux. Par exemple, si l'un des jumeaux est atteint par une maladie et l'autre aussi, ils sont dits " concordants " pour cette maladie.  On part de ce constat : les vrais jumeaux ont le même capital génétique, tandis que les faux jumeaux n'ont qu'une moitié de leur capital génétique en commun. Par ailleurs, vrais et faux jumeaux sont censés être les produits de la même éducation - un postulat discutable. D'où l'idée de les comparer :" Pour les troubles autistiques, par exemple, la concordance est de 90 % chez les vrais jumeaux et de 50 % chez les faux jumeaux. Avec un tel écart, il est ainsi difficile de dire que les gènes n'ont rien à voir avec  l'autisme ", explique Bruno Falissard. Dès 1876, Francis Galton (1822-1911), un scientifique brillant, mais controversé - il a posé les bases de l'eugénisme -, proposait d'analyser des cohortes de jumeaux. Mais " il a fallu attendre le début du XXe siècle pour qu'apparaisse l'idée qu'il existe deux sortes de jumeaux : les monozygotes (vrais jumeaux) et les dizygotes (faux jumeaux) ", raconte Françoise Clerget, directrice de recherche Inserm à l'Institut Imagine (hôpital Necker, Paris). Les cohortes de jumeaux ont ensuite connu un essor rapide, notamment dans les pays scandinaves. En  2012, un article dans Nature Reviews Genetics (J. van Dongen et al) recensait dix-huit grands registres à travers le monde, regroupant 720 730 paires de jumeaux. L'ADN de 161 739 d'entre elles est disponible.
Maladies métaboliques, affections neuropsychiatriques, cancers, mais aussi aptitudes cognitives ou comportements ont été ainsi passés au crible des épidémiologistes. Avec des résultats apparemment très riches. Pour le diabète de type 1, par exemple, la concordance est de 42,9 % entre vrais jumeaux et de 7,4 % entre faux jumeaux. Pour le diabète de type 2, elle est de 34 % entre vrais jumeaux et de 16 % entre faux jumeaux. Pour la schizophrénie, elle est respectivement de 40,8 % et 5,3 %. Pour la sclérose en plaques, de 25,3 % et 5,4 %. Pour le cancer de la prostate, de 18 % et 3 %.
Ces études ont aussi estimé " l'héritabilité " d'une cinquantaine de traits pathologiques ou non. Une notion statistique difficile à appréhender : l'héritabilité évalue la part de la variabilité génétique dans la variabilité d'un caractère, non pas à l'échelle de l'individu mais d'une population. On la confond souvent, à tort, avec l'hérédité. De plus, " la notion d'héritabilité n'a de sens que lorsque la variabilité de l'environnement peut être contrôlée : elle est très utile en génétique animale et végétale. Mais l'espèce humaine est soumise à des environnements extrêmement hétérogènes ", relève Françoise Clerget. Troisième difficulté, le calcul de l'héritabilité dépend des hypothèses faites sur les processus génétiques en jeu dans la maladie. Ainsi, l'héritabilité de la schizophrénie varie de 16 % à 81 % selon le modèle génétique utilisé !
" Les modèles classiques d'étude sur les jumeaux sont aujourd'hui remis en cause. Extrêmement simplifiés, ils ont conduit à majorer l'importance de la part génétique ", résume la professeure Jeanne Amiel, généticienne à l'Institut Imagine. Car la plupart se fondent sur trois hypothèses peu réalistes : une absence d'interactions entre les gènes et l'environnement, une indépendance entre les facteurs génétiques et environnementaux, un effet additif des actions des gènes concernés.
Ultrapolémiques, les études sur le quotient intellectuel (QI) illustrent ces biais. Une étude parue dans Science, en  1981 (Thomas Bouchard et al), donnait les valeurs suivantes de concordance du QI : 35 % pour les faux jumeaux élevés séparément, 55 % pour ceux élevés ensemble, 76 % pour les vrais jumeaux élevés séparément, 86 % pour ceux élevés ensemble. " Pour des traits tels que le QI, il n'est plus possible aujourd'hui de croire à l'absence d'interactions entre gènes et environnement, ni à l'indépendance des facteurs génétiques et environnementaux, souligne Françoise Clerget.  Un couple avec un QI élevé, par exemple, élèvera ses enfants dans un environnement plus favorable qu'un couple avec un QI moins élevé. " Dès lors, les chiffres obtenus ne sont pas interprétables.
Une récente étude sur l'autisme montre aussi les interprétations abusives de ces travaux. Les auteurs ont analysé l'expression de l'autisme chez plus de deux millions de Suédois : vrais et faux jumeaux et leur famille (Sven  Sandin et al, JAMA, 7  mai  2014). Selon eux, l'héritabilité de l'autisme est de 50 %. " Tout le monde en a conclu : l'autisme a pour moitié une origine génétique, pour moitié une origine environnementale. Mais cela ne veut rien dire, se désole Bruno Falissard (" Sciences et Médecine " du 28  mai). A l'exception notable des maladies liées au déficit d'un seul gène, l'immense majorité des maladies résultent d'interactions réciproques et subtiles entre de très nombreux facteurs génétiques et environnementaux.  Nous sommes tous fascinés par les chiffres, mais c'est un piège ! "
Si tout est affaire de milieu interagissant sur un génome, comment sortir de l'impasse ? L'espoir pourrait venir de l'analyse non plus des concordances gémellaires, mais des discordances observées entre vrais jumeaux. Des études le montrent : elles peuvent provenir de modifications du génome survenant chez un des jumeaux, mais pas chez l'autre, lors de l'embryogenèse, voire après la naissance. En mars  2014, une étonnante étude a été publiée dans Forensic Science International Genetics (J. Weber-Lehmann et al). Les auteurs ont analysé l'ADN du sperme de deux vrais jumeaux et du sang du fils de l'un deux. Chez le père et son fils, ils ont trouvé cinq variations de l'ADN  absentes chez le jumeau du père. " C'est la preuve que des mutations rares peuvent survenir très tôt chez un des jumeaux, peu après la scission de l'œuf fécondé ", disent-ils. Très précoces, ces mutations pourront se transmettre à de nombreux tissus, y compris aux cellules sexuelles. Plus tardives, elles ne seront présentes que dans certains tissus.
Mais le grand concept à la mode est l'épigénétique, ou comment des mécanismes moléculaires  peuvent influencer notre génome, en partie sous l'action de facteurs de l'environnement, pour modifier durablement l'expression de nos gènes. L'étude fondatrice a été celle de l'Espagnol Mario Fraga (PNAS, 2005). " Cette étude a montré des différences épigénomiques plus grandes entre faux jumeaux qu'entre vrais jumeaux. De plus, l'épigénome est apparu moins divergent pour des vrais jumeaux élevés ensemble que pour ceux élevés séparément ", indique Jörg Tost, du Centre national de génotypage, à Evry. Il est le coauteur d'une étude publiée dans PLoS Genetics en  2011, qui a montré des différences épigénomiques de faible ampleur entre vrais jumeaux discordants pour le diabète de type 1.
Mais ces études n'en sont qu'à leurs prémices. " Les vrais jumeaux peuvent être différents au niveau de leur épigénome - et de plus en plus avec l'âge. Mais on n'a pas encore démontré que ces changements épigénomiques sont associés à des changements d'expression des caractères étudiés, tempère Edith Heard, spécialiste d'épigénétique à l'Institut Curie (Inserm, Paris). De plus, le génome est loin d'être aussi invariant qu'on le croyait : tous les vrais jumeaux ne sont pas si identiques génétiquement.  Et des différences de caractère peuvent aussi venir de différences aléatoires dans l'expression des gènes. "
L'avenir est aux études qui permettront de faire la part des choses : " Nous disposons désormais de technologies sophistiquées et de moins en moins coûteuses pour séquencer rapidement à la fois le génome et l'épigénome ", se réjouit Jonathan Weitzman, qui dirige l'unité CNRS Epigénétique et destin cellulaire (université Paris-Diderot). Au fond, si les jumeaux fascinent tant, n'est-ce pas que nous espérons lire, dans leur double visage, la réponse à la question de notre libre arbitre ? Dans le miroir qu'ils nous tendent, ne voudrions-nous pas voir le reflet de cet obsédant débat : en quoi pouvons-nous échapper à ces deux déterminismes pesants, celui de nos gènes et celui de notre environnement ? Mais les frères-pareils ne sont pas devins. Pour eux, la question est autre : " J'ai un frère jumeau monozygote et je suis aussi le père de deux jumeaux fille-garçon, témoigne Jonathan Weitzman. Trouver notre propre identité reste pour nous un défi. "
Florence Rosier
© Le Monde

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