jeudi 14 août 2014

Marie Neuser, Marseille à la vie à la mort // Gilles Rof et Yann Plougastel // Le Monde 8 aout

Marie Neuser appartient à une nouvelle génération d'écrivains marseillais de romans noirs.

Marie Neuser, Marseille à la vie à la mort


Du polar dans le terroir (5/6). La citée phocéenne a imprimé la rétine et l'imaginaire de l'auteure, prof en ZEP.


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Marie Neuser appartient à une nouvelle génération d'écrivains marseillais de romans noirs.
Marie Neuser appartient à une nouvelle génération d'écrivains marseillais de romans noirs. | GIULIA D'ANNA LUPO

Du polar dans le terroir (5/6). Frange et queue-de-cheval, petit Perfecto sur haut léopard. Rouge à lèvres claquant. Regard de défi. Marie Neuser a un look sixties. A 44 ans, cette agrégée d'italien est professeure dans le 3e arrondissement de Marseille, classé « quartier le plus pauvre de France » par une étude Compas de janvier et « pire lycée de la ville au regard des résultats du bac ».
Mère d'un garçon de 9 ans et demi, elle est la compagne d'un musicien de rock, leader de l'ex-groupe Elektrolux, assez connu dans le milieu alternatif français. Elle a publié Je tue les enfants français dans les jardinset Un petit jouet mécanique (L'Ecailler 2011 et 2012). Marie Neuser appartient à une nouvelle génération d'écrivains marseillais de romans noirs, révélés dans le recueil de nouvelles Marseille Noir (Asphalte, 250 p., 18 euros).
FEUILLES VOLANTES DANS PETIT CLASSEUR
Elle n'écrit jamais chez elle, préférant s'installer à la terrasse d'un café, dès que le temps le permet, ou en salle, « pour laisser traîner ses oreilles et attraper des bouts de réalité ». « J'ai besoin de sortir pour trouver l'intimité du travail », explique-t-elle en jouant du paradoxe. Petits noirs serrés, cigarettes roulées… composent l'essentiel de son paquetage d'écrivain. Elle fréquente toujours les mêmes troquets, la terrasse couverte des Danaïdes, tout en haut de la Canebière, en hiver, et en été les bars de la Plaine, son quartier, une grande esplanade perchée sur une butte, ou Le Dernier Métro, boulevard Chave… à côté du tramway.
Elle écrit sur des feuilles volantes réunies dans un petit classeur. Celui qu'elle conseille à ses élèves du lycée Victor-Hugo, dans l'hyper-centre, où elle enseigne l'italien.
« Je travaille dans un ghettoEn dix-huit ans, j'y ai vu le niveau et l'ambiance se dégrader énormément. Ça fait mal. On a l'impression d'enseigner dans des ruines. On comble les lacunes de l'éducation parentale, sociale… Je ne suis pas amère, mais, après tout ce temps, j'aimerais faire mon métier complètement, et, un jour, sourit-elle les yeux pétillants, pouvoir parler de Dante à des élèves émerveillés. »
« LA GRANDE VILLE CRASSEUSE »
Marie Neuser ne s'imagine pas quitter cette ville où elle est née : « Je me suis souvent posé la question… Je ne sais pas où j'irais habiter, aucune autre ville ne m'attire autant. » Après la faillite de L'Ecailler, elle cherche un nouvel éditeur pour son dernier roman, basé sur un fait divers qui s'est déroulé en Italie.
Pour elle, l'écriture part toujours d'une colère. Si son premier roman traite de violence scolaire, c'est parce qu'elle en fut victime. Les scènes sont vécues. Elle a été étranglée contre un tableau de classe. « Mon travail d'écrivain consiste à mettre des mots sur mes sentiments, mes sensations. Je me suis lancée dans mon deuxième roman après avoir découvert l'existence du syndrome de Münchhausen par procuration. Je venais d'être maman et je ne pouvais comprendre que des femmes rendent leur enfant malade sciemment. » La nouvelle, publiée dans Marseille Noir, découle, elle, de son amour pour les îles du Frioul : « J'avais très envie d'écrire une histoire qui s'y passe entièrement. J'ai toujours été attirée par les îles, comme les enfants aiment les cabanes. On y est coupé du reste du monde. C'est ludique, une île. »
Alors que, dans son premier roman, Marseille n'est pas citée, elle parle de« la grande ville crasseuse », tout le monde l'a reconnue.
« Cette ville n'est pas forcément mon lieu d'inspiration, mais c'est un décor idéal pour le roman noir. Elle porte un sens terrible du tragique. C'est une scène de théâtre. Il suffit de voir comment les gens réagissent, sont hyperboliques en tout, ont des rapports extrêmement charnels et immédiats. Ici, tout se dénoue à coups de menace de mort, de coups de couteau. »
Elle insiste sur sa lumière exceptionnelle, bien loin des codes habituels du roman noir – pluie, brume, mystère. « La lumière est si forte que la ville et les gens sont complètement à poil, à la vue de tous. Une image cramée par le soleil. »
JAMES ELLROY, CÉLINE OU PROUST
Pour Marie Neuser, Marseille, c'est aussi la nature, la mer, les rochers… là, aux portes de la ville. « Ici, la nature est violente. Elle fait peur, comme ces gabians omniprésents dans ma nouvelle. L'oiseau, à Marseille, ce n'est pas un petit piaf. C'est ce monstre blanc qui attaque les petits chiens, défonce les poubelles, vous réveille en beuglant. Cet animal extrêmement lumineux, extrêmement agressif, avec une arme à la place du bec. Ça dit forcément quelque chose de la ville. C'est un charognard… Le matin, régulièrement, tu peux en voir qui mangent des rats. »
Nourrie de James Ellroy, Dennis Lehane, Carlos Salem, Pascal Dessaint, mais aussi de Julien Green, de Céline ou de Proust, elle aime le récit du débordement, de la violence, du désespoir, du passage à l'acte… « Le côté éruptif de mes histoires colle à cette ville. Ici, on est capable d'aller loin et vite. Et de le regretter après. Dans Marseille Noir, l'héroïne ne fait pas exprès de tuer son compagnon. C'est juste parce qu'elle coupait le poulet et qu'il est passé à ce moment-là. J'avais envie de parler d'amour. Mais d'une manière violente, acérée, incorrecte… »
Il est frappant de constater combien les auteurs marseillais de romans noirs se rejoignent sur la façon dont cette ville a formaté leur rétine. Attachés au réalisme, Marie Neuser et ses confrères voient les choses avec une impudeur et une violence que l'on ne rencontre guère ailleurs… Comme s'ils mettaient cette ville à nu dans tout ce qu'elle a de plus sordide. « Il y a une réalité sociale, géographique, humaine dans cette ville qui l'empêche d'être simplement un décor. »
Lire aussi les épisodes trois et quatre de la série (édition abonnés) : Elena Piacentini, la reine corse du polar ch'ti etSylvie Granotier a « mérité la Creuse »

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