jeudi 14 août 2014

Tout comprendre du conflit entre Amazon et l'industrie du livre Par Audrey Fournier

Le Kindle est la liseuse maison d'Amazon.

Tout comprendre du conflit entre Amazon et l'industrie du livre16


Alors que le distributeur en ligne est en conflit avec l'éditeur français Hachette, 900 écrivains sont montés au créneau pour dénoncer des pratiques jugées déloyales

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Le Kindle est la liseuse maison d'Amazon.
Le Kindle est la liseuse maison d'Amazon. | REUTERS/SHANNON STAPLETON

La fronde du milieu de l'édition contre Amazon, géant de la distribution en ligne, a gagné en ampleur le week-end du 9 août, avec la publication aux Etats-Unis d'une lettre de protestation signée par 900 écrivains de renom. En France et ailleurs, les librairies « en dur » peinent à faire face à la concurrence de l'e-commerce. Quelles sont les racines du conflit ?
  • Que reprochent les maisons d'édition à Amazon ?
Le groupe est engagé depuis de longs mois dans une lutte avec l'éditeur français Hachette, qui refuse de baisser le prix de ses livres numériques sur le marché américain. Amazon, qui souhaitait imposer un prix unique de 9,99 dollars (7,50 euros) sur les livres électroniques d'Hachette, a en effet tout à y gagner, car cela lui permettrait d'inciter les lecteurs à utiliser sa liseuse électronique Kindle. Le site commence déjà à tirer les tarifs vers le bas : par exemple, le best-seller américain Gone Girl de Gillian Flynn est disponible, en version originale, à 5,98 euros en format Kindle sur Amazon, contre 7,80 euros sur le site de la Fnac (mais en format ePub, qui peut être lu sur plusieurs dispositifs différents, pas seulement sur le Kobo, la liseuse « maison »).
Ce qui avait commencé comme un simple conflit commercial a peu à peu dégénéré et Amazon a pris des mesures de rétorsion contre la maison française : délais de livraison allongés, impossibilité d'effectuer des précommandes et suppression d'éventuelles réductions sur les livres.
Un groupe de 900 écrivains, réunis sous la bannière « Authors united » a publié une double page dans le New York Times le week-end dernier pour dénoncer ces pratiques. Parmi eux, de grands noms de la littérature, comme Paul Auster, John Grisham, Stephen King, Donna Tartt, mais aussi la canadienne francophone Nancy Huston, qui donnent de l'écho au combat, qui concerne moins Hachette en particulier que la défense du rôle des maisons d'édition en général.
Pour Amazon et Hachette, les enjeux ne sont pas comparables. L'e-commerce est une activité bénéficiaire pour Amazon, mais elle ne représente qu'une partie minoritaire de son chiffre d'affaires. Si Amazon recule sur le prix des livres électroniques, l'impact dans ses comptes sera donc faible, d'autant plus qu'elle détient 60 % de parts de marché aux Etats-Unis. Le préjudice pour Hachette serait vraisemblablement beaucoup plus important.
  • Peut-on parler de concurrence déloyale ?
Si le marché du livre électronique reste modeste (seulement 5 % du marché en France, mais plus de 20 % aux Etats-Unis), les ventes à distance (livres papier et électroniques) ne cessent de progresser : + 6 % en 2013 en France.
Amazon s'est positionnée depuis la fin des années 1990 sur ce créneau en proposant une offre large, expédiée dans des délais très serrés. Mais la loi Lang de 1981 sur le prix unique du livre contraint les libraires à ne pas dépasser les 5 % de rabais, ce qui limite leur marge de manœuvre et ne leur permet pas de jouer sur les volumes de vente.
Cherchant un moyen de faire baisser les prix sur le marché français, Amazon a tenté de faire passer les frais de livraison à 0 euro. La Fnac l'a imitée. Ce dumping n'a pas été vu d'un bon œil par le Parlement, qui a voté au printemps une loi dite « anti-Amazon » pour interdire le cumul de la gratuité des frais de port et le rabais de 5 %. Réponse des intéressés ? Faire passer les frais de port de 0 à... 1 centime d'euro « sur les commandes contenant des livres ». Et la Fnac de lui emboîter le pas.
Le but de ce texte, aussitôt promulgué, aussitôt contourné, était de protéger un secteur malmené depuis quelques mois, en figeant les prix. Sauf que l'attractivité d'Amazon ne tient pas seulement à sa volonté de proposer des prix bas, mais aussi, et surtout, à la taille de son catalogue et à ses moyens logistiques pour assurer une livraison rapide. Et sur ces points, les moyens déployés par Amazon sont effectivement disproportionnés par rapport à ceux des libraires indépendants, grâce notamment à une politique d'investissement massif dans les centres logistiques.
Un détail, et pas des moindres, Amazon est régulièrement pointé du doigt pour ses pratiques fiscales : la société paierait en effet un impôt largement inférieur à ce qu'elle devrait verser au vu de son chiffre d'affaires réalisé sur le territoire. Cet argument est repris par les pourfendeurs de la firme américaine, qui estiment qu'elle bénéficie de fait d'un avantage concurrentiel injustifié.
  • Comment s'en sortent les distributeurs français de produits culturels ?
Ancien hérault du cassage de prix, jusqu'à la promulgation du prix unique du livre en 1981, la Fnac tente de jouer à armes égales avec Amazon, en s'appuyant sur son vaste réseau de magasins et sur le Kobo, sa liseuse maison, adossée à sa propre plateforme de distribution de livres électroniques. L'agitateur culturel a publié des résultats positifs en début d'année, fruit de sévères mesures d'économie et d'un plan social. Le but : livrer aussi vite qu'Amazon tout en proposant des prix attractifs, et se diversifier sur d'autres produits (électroménager). La stratégie s'est avérée payante, à court terme.
Au contraire, le réseau de librairies Chapitre, deuxième en France après la Fnac, a mis la clé sous la porte en début d'année. Constitué de librairies indépendantes regroupées pour mieux survivre, ce réseau a échoué à faire repartir son chiffre d'affaires et les 57 magasins ont été mis en vente pour les transformer en « réseau de librairies indépendantes ». La stratégie du groupe, qui a consisté à uniformiser les librairies en les faisant passer sous la toise de France Loisirs, n'a pas convaincu la clientèle de revenir. 
  • La France est-elle la seule à faire de la résistance ?
Non. De grands libraires américains pâtissent aussi de la concurrence d'Amazon. Barnes & Noble a ainsi vu son chiffre d'affaires chuter de 10 % en deux ans, victime de l'essor du commerce en ligne et du développement des livres numériques, dans un pays où lire sur tablette est devenu banal. Pour survivre, Barnes & Noble vient d'annoncer avoir noué un partenariat avec Google sur la livraison, pour pouvoir acheminer plus vite les commandes grâce au service de messagerie Google Shopping Express.
Le libraire a en outre laissé tomber sa liseuse Nook, et noué un partenariat avec Samsung pour proposer sa plateforme de livres numériques sur les tablettes du fabricant coréen. En cinq ans, Barnes & Noble a fermé une soixantaine de librairies aux Etats-Unis, mais a réussi à compenser le repli du chiffre d'affaires par des coupes dans ses dépenses. Reste à savoir combien de temps cette stratégie sera efficace.
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