vendredi 26 septembre 2014

Sylvain Urfer - Où va Madagascar ? Les incertitudes d’une société en mutation - Études 2014/10 (Tome 420)







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Le 25 janvier 2014, l’investiture du président Hery Rajaonarimampianina mettait un terme à une transition ouverte le 17 mars 2009. Ce jour-là, Marc Ravalomanana dissolvait le gouvernement et démissionnait en faveur d’un Directoire militaire, avant de s’enfuir en Afrique du Sud. Aussitôt contestés par les officiers supérieurs et subalternes, les trois hauts gradés de ce Directoire transmettaient le pouvoir à celui qui menait le mouvement populaire depuis des mois, Andry Rajoelina [1][1] Ce que les partisans de Ravalomanana, soutenus par.... Après la tenue d’élections présidentielles et législatives fin 2013 et la mise en place d’un nouveau gouvernement en avril 2014, les acteurs locaux et les observateurs étrangers estiment que la crise est aujourd’hui terminée.

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La République de Madagascar est-elle tirée d’affaire pour autant ? Il est permis d’en douter. À preuve, il aura fallu deux mois et demi au Président pour nommer un Premier ministre car la nouvelle Assemblée nationale, qui comptait alors 149 élus, s’était découvert deux majorités, l’une de 76 et l’autre de 93 voix, chacune s’estimant habilitée à proposer au Président le nom du Premier ministre [2][2] « Le Président de la République nomme le Premier ministre,.... Et bien sûr, pas un seul opposant ne s’est encore manifesté dans cette Chambre introuvable !
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Dès lors, la question se pose de savoir si des institutions d’apparence démocratique, issues d’élections supervisées par la communauté internationale, sont la garantie d’un État de droit ou si elles ne servent qu’à conforter la bonne conscience de l’Occident. À ce titre, l’expérience de la Grande Île est exemplaire, puisqu’elle a connu quatre Républiques et cinq transitions en un demi-siècle ! C’est dire que le problème est ailleurs et que, on le verra, la crise est appelée à durer aussi longtemps que le pays n’aura pas achevé la mutation sociale en cours.

L’illusion du politique

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Les apparences sont trompeuses, et illusoires les exigences de ladite communauté internationale – en l’occurrence, les bailleurs de fonds occidentaux et les institutions internationales sous tutelle américaine. S’il suffit de tenir des élections cautionnées par des observateurs étrangers, d’être gouverné par des responsables ainsi élus et de se réclamer du libéralisme économique, Madagascar a été un pays démocratique à plusieurs reprises ces dernières années. Or ses Républiques successives se sont toutes soldées, avec ou sans caution internationale, par autant d’échecs. Un bref survol en rappellera le parcours tourmenté.
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Père de l’indépendance et incarnation du néocolonialisme, Tsiranana est renversé par une fronde estudiantine sanglante en 1972. Fort d’un mandat populaire pour gérer une transition de cinq ans, le général Ramanantsoa jette l’éponge en 1975, au profit du colonel Ratsimandrava assassiné six jours plus tard. Un Directoire militaire confie alors le pouvoir au capitaine de corvette Ratsiraka, qui se fait plébisciter avec une Constitution socialiste et un Livre rouge (Boky mena) en décembre 1975. Après cinq années de nationalisations, de gabegie et d’investissements incohérents, le pays ruiné subit la potion amère de l’ajustement structurel… jusqu’à ce que la population, excédée, obtienne une nouvelle transition en 1991, après un massacre plus meurtrier que celui de 1972.
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Le chirurgien Zafy gagne les élections de 1993, menées au nom de la démocratie et du libéralisme, mais il est « empêché » par le Parlement trois ans plus tard. Fin 1996, une troisième transition permet le retour de Ratsiraka, devenu chantre de l’humanisme écologique ! Puis l’homme d’affaires Ravalomanana se proclame élu dès le premier tour de l’élection de décembre 2001, et s’impose à l’issue d’une transition sanglante qui a failli se terminer en guerre civile ; après les États-Unis, la communauté internationale entérine le fait accompli. Mais en dépit d’aides extérieures massives et d’une croissance incontestable, le nouveau régime succombe à la corruption, aux inégalités galopantes et à l’autoritarisme d’un président qui met l’économie nationale en coupe réglée à son profit.
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Suit une cinquième transition, le 17 mars 2009, dirigée par l’entrepreneur Rajoelina, maire d’Antananarivo. L’Union africaine s’émeut et la communauté internationale (États-Unis et Union européenne, en l’occurrence) sanctionne le pays – c’est-à-dire sa population déjà misérable, qui s’appauvrit encore. Puis, au lieu de s’en remettre aux urnes pour régler le conflit opposant Ravalomanana et Rajoelina, elles exhument les anciens présidents Ratsiraka et Zafy, honnis de tous mais toujours ambitieux, pour imposer une sortie de crise « inclusive et consensuelle ». Deux ans seront nécessaires pour négocier une Feuille de route réunissant les quatre « mouvances » dans un gouvernement dit d’Union nationale et dans un Parlement pléthorique de membres désignés ; et deux ans encore pour que ces parvenus finissent par organiser des élections où ils auront tout à perdre.
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Ces échecs en série sont habituellement attribués à une classe politique incompétente et dévoyée. Les Malgaches, il est vrai, ne se font aucune illusion sur leurs dirigeants, à l’ego disproportionné et aux compétences surfaites, qui n’agissent que pour leur intérêt personnel et se moquent éperdument de l’intérêt général du pays. Mais le plus grave est qu’ils ne sont pas plus motivés que le reste de la population par le civisme ou le patriotisme, qu’ils ne se sentent pas davantage liés par le respect de la loi ou le sens de l’État, et ne sont pas plus culpabilisés de pratiquer la corruption ou de détourner l’argent public…
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Ces comportements choquent d’autant moins que chacun admet volontiers qu’il les adopterait sans difficulté si l’opportunité lui en était donnée. Mises à part les obligations familiales et sociales imposées par la coutume, personne ne se sent tenu d’agir pour respecter la morale ou pour fuir la réprobation sociale. Il n’est que de voir les politiciens auteurs des pires malversations, qu’ils aient été condamnés ou pas, se pavaner dans les salons et être honorés comme si de rien n’était. Imposées par une tradition toujours vivace, ces réactions neutralisent toute contestation personnelle (au nom du henamaso – la honte du regard de l’autre) ou collective (au nom du consensus) et expliquent la faiblesse voire l’inexistence de la société civile, en dépit de la lucidité critique d’une minorité.

Les non-dits de l’histoire

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À l’impasse du politique s’ajoutent les séquelles de l’histoire. On oublie souvent que les principaux blocages de la société malgache d’aujourd’hui datent du XIXe siècle [3][3] Voir Françoise Raison-Jourde, Bible et pouvoir à Madagascar.... Établie autour d’Antananarivo, dans la partie Nord des hautes terres centrales, l’ethnie Merina conquiert les deux tiers de la Grande Île au début du siècle, et la Grande-Bretagne reconnaît le Royaume de Madagascar et son roi Radama II dès 1817. Une décision diversement appréciée, les Betsileo (établis au Sud des hautes terres centrales) et les ethnies de la côte parlant de guerres coloniales, les Merina y voyant les étapes d’une guerre d’unification nationale. De plus, les conditions de ces conquêtes et l’administration des populations vaincues ont laissé des souvenirs traumatisants. Le dépouillement des archives royales permettrait d’en avoir une vision plus objective, mais il est difficile de savoir comment les populations concernées réagiraient à leur publication.
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Le temps de la colonisation relève de la même ambiguïté. Certaines ethnies, notamment les Betsimisaraka de la côte Nord-Est et les Betsileo, accueillent avec satisfaction les troupes françaises qui ont conquis le pays en 1895, estimant qu’elles les libéraient de la domination merina. La région de l’Imerina par contre est le théâtre d’une forte résistance nationaliste des Menalamba (toges rouges). Après un répit de courte durée, la résistance au pouvoir colonial s’organise progressivement autour des intellectuels et des clercs ; elle culmine, après la Seconde Guerre mondiale, dans la revendication de l’indépendance. Mais les préventions du passé s’imposent à nouveau, qui opposent les côtiers suspectés de collaborer avec les Français dans le cadre du PADESM [4][4] Sur ce sujet toujours délicat, voir le livre magistral..., et les Merina censés incarner un nationalisme intransigeant dans le cadre du MDRM [5][5] Mouvement démocratique de la rénovation malgache, fondé.... L’échec de l’insurrection du 29 mars 1947 ne fait que raviver les antagonismes anciens, et continue à empoisonner les relations entre les Merina et les autres ethnies.
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De même, les séquelles de l’esclavage ancien demeurent l’un des grands obstacles à la réalisation d’une société unifiée et pacifiée [6][6] Voir Ignace Rakoto et Sylvain Urfer (dir.), Esclavage.... La question se pose surtout en Imerina, où les mainty (noirs), anciens serviteurs royaux, jouissaient d’une position sociale enviable. Après l’abolition de l’esclavage en 1896, ils sont confondus avec les andevo (esclaves), et les deux groupes sont désormais appelés mainty. Sur eux pèse un évident mépris de la part des groupes statutaires hova (sujets libres) et andriana (nobles) qui se disent fotsy (blancs), leur l’apparence physique, teint clair et cheveux lisses, les distinguant des mainty au teint sombre et aux cheveux crépus. Or cette discrimination sociale existe toujours, en dépit des dénégations des uns et des autres. Elle est sous-jacente au débat politique récent, les partisans de l’ancien président Ravalomanana se recrutant surtout parmi les fotsy, les mainty soutenant plutôt Rajoelina.

Une société en mutation

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L’illusion du politique et les non-dits de l’histoire ne sont que des éléments d’un problème plus vaste, qui touche à l’ensemble de la société malgache. Pour la première fois de son histoire, celle-ci se voit confrontée à une culture étrangère, européenne aux XIXe et XXe siècles, mondialisée aujourd’hui. Ce combat inégal entraîne le rejet des croyances et des comportements traditionnels, ainsi que la perte des valeurs ancestrales. L’exode rural en est la première manifestation, provoquée par le refus du conformisme social autant que par la misère. Le phénomène se développe ensuite dans les quartiers périphériques des villes, à commencer par la capitale. Venus de toutes les régions, éloignés des réseaux familiaux, habitant des abris de fortune et voués à l’économie informelle, les nouveaux citadins élaborent un vivre-ensemble où le pouvoir des anciens, la prééminence des hommes sur les femmes et celle des aînés sur les cadets sont les premiers contestés. Sont ensuite remises en cause les valeurs traditionnelles telles le fihavanana (solidarité familiale) ou le marimaritra iraisana (consensus), et tout ce qui constitue un frein à l’autonomie des personnes dans le groupe.
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Cette mutation n’est pas arbitraire. Des chercheurs américains [7][7] Douglass C. North, John J. Wallis et Barry R. Weingast,... l’ont qualifiée de passage d’un « ordre social d’accès limité, ou État naturel » à un « ordre d’accès ouvert », la décrivant en des termes qui correspondent parfaitement à la réalité malgache. Le premier est caractérisé par « la prédominance des relations sociales organisées sur un mode personnel, reposant sur des privilèges, une hiérarchie sociale, des lois appliquées au cas par cas, des droits de propriété fragiles et le présupposé que tous les individus ne sont pas égaux [8][8] Idem., p. 33. ». Dans le second, « les relations personnelles ont encore leur place, mais des catégories impersonnelles d’individus, ordinairement appelés citoyens, interagissent dans les vastes domaines du comportement social sans forcément avoir à connaître l’identité individuelle de leurs interlocuteurs. L’identité, qui, dans les États naturels, est inhérente à la personne, se définit dans les ordres d’accès ouvert comme un ensemble de traits impersonnels [9][9] Idem., p. 18. ». En d’autres termes, la prédominance des relations citoyennes se substitue, dans la société, à celle des relations familiales.
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Pareils changements relèvent de l’histoire longue et s’étalent sur des générations. Mais pour qu’ils ne se dévoient pas dans l’individualisme et la violence, il convient de les accompagner et de les orienter. Deux exemples suffiront à indiquer la ligne à suivre. La force contraignante du henamaso[10][10] Voankazoanala, Le Henamaso, taureau à dompter, Foi..., inhibiteur autant que régulateur social, peut contribuer à inculquer le respect que chacun doit donner à l’autre et que lui-même est en droit de recevoir ; ceux qui en ont été les bénéficiaires à ce jour devront le pratiquer à leur tour, dirigeants auprès des citoyens, élus à l’égard des électeurs, administrations vis-à-vis des usagers du service public, etc. Il en va de même du marimaritra iraisana (consensus) [11][11] Voankazoanala, Le consensus à l’épreuve, Foi & Justice,..., devenu facteur de blocage à force d’être invoqué à tout moment, notamment dans la vie politique. Il retrouvera sa raison d’être et sa force de conviction s’il se concentre sur les valeurs fondamentales du vivre ensemble, dans un esprit de solidarité et de convivialité : droits humains (ceux des femmes et des enfants en particulier), culte des ancêtres, sauvegarde de l’environnement, civisme et respect de la loi, rejet des résurgences de l’esclavage ancien, unité nationale par-delà les différences ethniques… Ainsi la Grande Île parviendra-t-elle à moderniser sa culture traditionnelle tout en sauvegardant le contenu de ses valeurs ancestrales. Et, dans la même logique, seront progressivement réunies les conditions d’une société démocratique et d’un État de droit issu d’élections crédibles.

Quelle place pour les Églises ?

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L’avenir de Madagascar ne se construira pas sans l’implication de ses citoyens. Toutes les composantes de la société sont conviées à y participer, notamment les Églises chrétiennes qui réunissent près de la moitié de la population dans leurs dénominations diverses [12][12] L’appartenance religieuse n’a pas encore été prise.... Elles bénéficient de l’importance du sacré dans la culture traditionnelle, qui infuse toute la vie personnelle et sociale, y compris le pouvoir – ce dont profitent les hommes politiques autant que les clercs. Pour le Malgache en effet, la vie est un flux interrompu qui va du Créateur jusqu’à l’homme, par l’intermédiaire des ancêtres et des parents ; ce flux vital englobe également l’environnement : famille, parents, voisins, rizières, pirogues et village, bref, tout ce qui, pour chaque être humain, est « vital ». Élément constitutif de la société, le sens du sacré donne aux organisations religieuses, quelles qu’elles soient, une influence déterminante, sans que leurs engagements soient toujours à la hauteur des responsabilités qui leur sont conférées.
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En ce domaine, l’exemple du FFKM (Conseil des Églises chrétiennes à Madagascar) est révélateur. Créé en 1979 par les Église historiques (catholique, réformée, luthérienne et anglicane), il délaisse l’œcuménisme pour dénoncer les dérives du régime Ratsiraka. Après avoir organisé une première Conférence nationale en 1991 (au terme de laquelle les évêques catholiques se retirèrent), il devient partie prenante des institutions de la Transition qui prépare la victoire de Zafy. Le rapide échec de celui-ci ruine la crédibilité du FFKM pour de longues années. Mais il s’engage à nouveau, dès 2001, en faveur de Ravalomanana – déjà vice-président laïc de l’Église réformée FJKM –, avec l’active complicité du cardinal-archevêque d’Antananarivo. Après le départ en retraite de ce dernier à la fin de l’année 2005, la conférence épiscopale revient à sa neutralité habituelle, provoquant l’ire d’un chef d’État qui rêve d’instaurer la théocratie à Madagascar ! Rien d’étonnant donc si le FFKM n’a pu mener à bien la médiation entre Ravalomanana et Rajoelina en 2009, ni la réconciliation nationale depuis lors. Par contre, le pape François a clairement indiqué la voie à suivre aux évêques malgaches en visite ad limina, le 28 avril 2014 : « La recherche de l’unité, de la justice et de la paix vous incombe pour mieux servir votre peuple, en refusant toute implication dans des querelles politiques au détriment du bien commun. »
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Trois pistes s’ouvrent alors pour l’Église catholique. La première concerne la crédibilité de son témoignage, ce que rappelait le pape lors de la même rencontre à Rome : « Le sacerdoce comme la vie consacrée ne sont pas des moyens d’ascension sociale, mais un service de Dieu et des hommes. […] Le contre-témoignage en ce domaine est particulièrement désastreux en raison du scandale qu’il provoque, en particulier face à une population qui vit dans le dénuement. » La seconde vise la dimension sociale de son engagement évangélique. Le cardinal Razafindratandra s’en inquiétait déjà devant Jean-Paul II, lors d’une précédente visite ad limina, le 26 septembre 1998 : « Nos problèmes actuels proviennent sans doute moins de structures politiques que de comportements personnels et collectifs devant le pouvoir, l’argent, les responsabilités et la gestion. Si notre Église a su être un moteur du changement politique, elle n’a pas vraiment réussi à initier le changement social. [13][13] Cité dans Église et société à Madagascar, tome V (1995-2000),... » La troisième piste consiste alors à accompagner la mutation culturelle en cours, notamment pour adapter les valeurs traditionnelles à la société contemporaine. Pour ce faire, l’Église dispose d’atouts majeurs : la confiance des fidèles et de la population environnante, un réseau paroissial qui couvre l’ensemble du territoire, des institutions éducatives nombreuses et variées, un personnel de clercs et de laïcs relativement qualifié. Il lui reste à accepter le diagnostic avec lucidité, et à agir avec désintéressement.
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On l’aura compris, la fin de la transition à Madagascar n’est pas synonyme de sortie de crise. Faut-il s’en émouvoir ? Certainement pas, à condition toutefois de bien comprendre les raisons de l’instabilité sociale dont les remous politiques ne sont que le reflet. Vouloir réformer ou démocratiser la seule sphère politique serait, pour l’heure, se tromper de combat : insensibles à toute critique et à tout sentiment de honte, les responsables politiques ne font que renvoyer à la population l’image qu’elle attend d’eux en tant que détenteurs d’un pouvoir sacralisé.
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D’où l’importance d’accompagner, en l’orientant positivement, le mouvement de décomposition sociale qui est désormais irréversible. L’effet en sera doublement bénéfique : la population ne subira plus l’impitoyable pression sociale qui l’asservit au profit des groupes statutaires dominants, et les Malgaches, surtout ceux de la jeune génération, réaliseront enfin leur besoin d’accéder à l’autonomie personnelle au sein de la communauté. Tel est le défi sur lequel se joue l’avenir de Madagascar et, sans doute aussi, de l’Afrique subsaharienne.

Notes

[1]
Ce que les partisans de Ravalomanana, soutenus par l’Union Africaine, l’Union Européenne et les États-Unis, qualifient de « coup d’État ». En réalité, le véritable coup d’État est imputable à Marc Ravalomanana : la Constitution en vigueur ne l’autorisait à démissionner qu’en faveur du Président du Sénat. Quant à Rajoelina, il n’accepta ce transfert de pouvoir qu’après sa validation, certes prévisible, par la Haute Cour Constitutionnelle.
[2]
« Le Président de la République nomme le Premier ministre, présenté par le parti ou le groupe de partis majoritaire à l’Assemblée Nationale » (Constitution, article 54).
[3]
Voir Françoise Raison-Jourde, Bible et pouvoir à Madagascar au XIXe siècle. Invention d’une identité chrétienne et construction de l’État, Karthala, 1991.
[4]
Sur ce sujet toujours délicat, voir le livre magistral de Jean-Roland Randriamaro, PADESM et luttes politiques à Madagascar. De la fin de la Deuxième Guerre mondiale à la naissance du PSD, Karthala, 1997.
[5]
Mouvement démocratique de la rénovation malgache, fondé en 1946, dissout en 1947.
[6]
Voir Ignace Rakoto et Sylvain Urfer (dir.), Esclavage et libération à Madagascar, Karthala, 2014.
[7]
Douglass C. North, John J. Wallis et Barry R. Weingast, Violence et ordres sociaux. Un cadre conceptuel pour interpréter l’histoire de l’humanité, Gallimard, 2010.
[8]
Idem., p. 33.
[9]
Idem., p. 18.
[10]
Voankazoanala, Le Henamaso, taureau à dompter, Foi & Justice, 2011.
[11]
Voankazoanala, Le consensus à l’épreuve, Foi & Justice, 2013.
[12]
L’appartenance religieuse n’a pas encore été prise en compte, à ce jour, par les recensements de la population effectués depuis 1960. Selon les estimations, les chrétiens représenteraient environ 50 % du total (dont la moitié serait catholique, l’autre moitié répartie entre réformés, luthériens, anglicans et, de plus en plus, évangéliques) et les musulmans 7 %, le reste étant composé des adeptes de la religion traditionnelle.
[13]
Cité dans Église et société à Madagascar, tome V (1995-2000), 2001, p. 87.

Résumé

Français
La situation politique malgache semble stabilisée. Mais rien n’est réglé pour autant. Il importe de connaître l’histoire de l’île, ses divisions ethniques et ses mutations culturelles. Une reprise des valeurs traditionnelles peut aider la transition actuelle. Les Églises ont leur rôle à jouer, à condition qu’elles évitent de s’impliquer, comme elles l’ont fait autrefois, dans les querelles politiques.

Plan de l'article

  1. L’illusion du politique
  2. Les non-dits de l’histoire
  3. Une société en mutation
  4. Quelle place pour les Églises ?


Pour citer cet article

Urfer Sylvain, « Où va Madagascar ? », Études 10/ 2014 (Tome 420), p. 19-27
URL : www.cairn.info/revue-etudes-2014-10-page-19.htm.
  1. numéro précédent article trés sollicité +++
  2. Le référendum écossais

    parPhilippe Brillet
    Docteur en géographie et agrégé d’anglais. Maître de conférences en civilisation britannique et irlandaise à l’université Toulouse II-Jean Jaurès.

  3. en bonus , si vous étes sage :











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