vendredi 24 juillet 2015

Chantal Blanc-Pamard et Hervé Rakoto Ramiarantsoa, Le Terroir et son double. Tsarahonenana, 1966-1992, Madagascar, Paris, ird, coll. « À travers champs », 2000, 254 p.

Depuis les années 1950, les géographes africanistes de l’orstom (devenu ird) ont mené des études monographiques très minutieuses de « terroirs » (terme utilisé ici pour désigner des finages cohérents), dont une vingtaine ont été publiées entre 1967 et 1987, sous la direction de Gilles Sautter et Paul Pélissier qui avaient initié ces recherches, dans la collection des « Atlas des structures agraires au sud du Sahara ». Les espaces géographiques concernés correspondent bien sûr au domaine initial d’intervention de l’orstom, c’est-à-dire les pays francophones et plus particulièrement la Côte-d’Ivoire, la Haute-Volta (maintenant Burkina Faso), le Cameroun, le Congo et Madagascar. Une cartographie abondante accompagne ces études très détaillées (supports pour certaines de thèses de troisième cycle) qui constituent maintenant une base de référence, prenant déjà un caractère historique, permettant d’évaluer les évolutions lors de retour sur le terrain. C’est ce qui a été fait par deux chercheurs, Chantal Blanc-Pamard et Hervé Rakoto Ramiarantsoa, reprenant en 1992 le domaine de recherches découvert 26 ans plus tôt (1966) par Joël Bonnemaison et publié dans la collection des « Atlas » (Joël Bonnemaison, « Tsarahonenana. Des riziculteurs de montagne dans l’Ankaratra » in Atlas des structures agraires à Madagascar, 3, Paris-La Haye, Mouton, 1976, 97 p. + 5 cartes h.t.). Ce retour sur le « terroir » a fourni des éléments de comparaison d’une grande richesse, justifiant une publication de près de 200 pages, suivie d’une postface du découvreur initial.
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En un quart de siècle, le terroir de Tsarahonenana a connu des changements importants à cause d’une part de l’évolution du pouvoir politique et de ses orientations pour le développement rural, d’autre part de la croissance démographique et de la pression qu’elle entraîne sur les terres agricoles. La permanence apparaît dans la solidité d’une civilisation du riz à laquelle se rattache la population merina. Les incohérences de l’action gouvernementale se sont traduites par la désorganisation des marchés, par une grave crise de l’approvisionnement des villes et par une insécurité croissante dans les campagnes. Le manque de moyens et le désengagement progressif des organismes d’État ont favorisé l’intervention de nombreuses ong, surtout confessionnelles. La pression démographique a généré des mouvements migratoires vers les villes, mais aussi de nouveaux aménagements et de nouvelles conquêtes sur les espaces libres.
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Sur les plateaux centraux de Madagascar, le terroir de Tsarahonenana se situe en bordure d’une plaine d’altitude, à plus de 1 600 m, cernée de collines, les tanety, au pied de la chaîne volcanique de l’Ankaratra. La riziculture s’impose au cœur du système de production agricole, sur les terres de la plaine marécageuse. La croissance de la population a imposé à la fois une extension maximale des rizières sur tous les espaces aménageables et une démarche d’intensification en s’appuyant sur l’association agriculture-élevage (création de fosses à fumier, utilisation des animaux pour les travaux de labours et de transports). L’effort vers l’intensif ne concerne pas que le riz, il se marque aussi par la progression de la double culture, avec des productions de contre-saison (pommes de terre, carottes). Au-dessus des terres à riz, les tanety ont été aménagées en banquettes, sur les basses pentes, pour les pratique de cultures pluviales : maïs, pommes de terre, manioc, haricots et soja (dont l’introduction récente a été une réussite). Les surfaces non défrichées ont été reboisées, surtout en pins.
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L’amélioration du système de production est liée à une connaissance fine des potentialités du terroir, au maintien des solidarités familiales et au développement d’associations paysannes. Les gains de production ont permis à la population villageoise de passer de 255 habitants en 1966 à 303 en 1992, croissance qui ne rend pas compte de l’évolution démographique réelle, le terroir ayant généré des courants migratoires.
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Les habitants de Tsarahonenana ont conquis de nouveaux espaces, distants d’une dizaine de km sur les versants de l’Ankaratra, à près de 2 000 m d’altitude. Un front pionnier se développe autour d’un centre villageois nommé Andranomangamanga. Le mouvement, commencé bien avant 1966, s’est accéléré depuis. Le riz est ici à son extrême limite écologique, mais les pionniers réussissent, à force d’acharnement à en produire dans quelques fonds de vallons aménagés. Toujours associée à l’élevage bovin, la principale culture est celle des pommes de terre. S’y ajoutent les créations de vergers de pommiers, la gestion des peuplements naturels de mimosas pour le bois de chauffe et les reboisements en pins. La plupart des productions de ce front pionnier donnent matière à une commercialisation qui fournit un revenu indispensable pour combler le déficit en riz. Le déplacement vers les hauts de l’Ankaratra se fait dans le maintien des solidarités familiales et lignagères, et il en est de même pour les mouvements de migration vers la ville.
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L’étude réalisée en retour de terrain met en lumière les démarches de développement réel et les capacités d’adaptation d’une société rurale confrontée aux difficultés du milieu et aux aléas politiques. Depuis les lointains rivages indonésiens jusqu’au front pionnier montagnard, les fondements culturels restent ancrés dans les mentalités et génèrent les dynamiques de développement de paysans qui sont, comme le dit Joël Bonnemaison, « à la fois gens de racines et gens de voyages ».
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Marcel Roupsard

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