mardi 8 décembre 2015

La peste à Madagascar : un foyer permanent


Option Bio
Volume 26, numéro 531
pages 16-19 (septembre 2015)








La peste à Madagascar : un foyer permanent


Patrice Bourée a, b, Sophie Delaigue c, Alireza Ensaf d

a Institut Alfred-Fournier, Paris 
b Service de parasitologie-mycologie, Hôpital Cochin, Paris 
c Service des maladies infectieuses, Hôpital Avicenne, Bobigny 
d Laboratoire de biologie, Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane) 

Déclaration d’intérêt

synthèse





 


La peste, fléau mondial et mortel autrefois, a beaucoup régressé au cours des deux derniers siècles avec d’une part l’amélioration générale de l’hygiène et d’autre part les progrès des diagnostics et des traitements. Cependant cette maladie n’a pas disparu et subsiste encore dans plusieurs foyers en Asie, en Amérique et en Afrique avec plus de 90% des cas et des décès (Tableau I), la mortalité étant relativement faible (Figure 1) En effet, dans les cinq dernières années, des épidémies de peste sont survenues à Madagascar, en Tanzanie, au Mozambique, au Malawi, en Ouganda et en République démocratique du Congo, ainsi que dans les grands parcs américains où sont diagnostiqués plusieurs cas chaque année (Figure 2).



Figure 1


Figure 1. Courbe de morbidité et mortalité (OMS).
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Figure 2


Figure 2. La peste dans le monde (en bleu foncé : les cas animaux).
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Madagascar : la peste sévit depuis 1898
À Madagascar, la peste a été importée en 1898 par un bateau arrivant d’une zone d’endémie et elle s’est répandue dans tout le pays. Avec l’arrivée des traitements par les sulfamides et la streptomycine ainsi que l’usage des insecticides (DDT), la peste a disparu de la capitale en 1950 puis a nettement régressé dans l’ensemble du pays. En 1988, la peste réapparaît à Madagascar (plus de 2 000 cas et plus de 120 décès), puis en 1970 à Antananarivo, en 1991 à Mahajanga et est toujours présente depuis. Ce pays reste un des plus importants foyers du monde, près de 700 cas ont été déclarés officiellement depuis 2013 ( Figure 3). Actuellement, le bilan officiel est de 71 morts pour 263 cas. Mais ces chiffres sont sous-estimés en raison de la désorganisation du système de santé local et des coutumes locales d’enterrement des morts, qui ne respectent pas les normes de sécurité sanitaire. Selon le Dr Minoarisoa Rajerison, directrice de l’Unité de recherches sur la peste à l’Institut Pasteur de Madagascar, un Malgache sur deux ne consulte jamais un médecin et devant des symptômes, « les gens vont plutôt acheter des médicaments à l’épicerie, ce qui retarde la prise en charge. Par ailleurs, les guérisseurs traditionnels déconseillent aux malades d’aller à l’hôpital, affirmant que ceux qui y vont n’en ressortent pas vivants ». L’incidence de la peste suit les courbes de température et de pluviométrie ( Figure 4).



Figure 3


Figure 3. La peste à Madagascar, actuellement.
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Figure 4


Figure 4. L’incidence de la peste suit la température et l’humidité.
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Un fléau historique
La peste est une zoonose due au bacille de Yersin, ou Yersinia pestis qui se déclare d’abord chez les rongeurs qui, en cas d’épizootie, meurent en grand nombre. De ce fait, les puces n’ayant plus leurs hôtes habituels se rabattent sur l’homme, pour effectuer leurs repas sanguins. Ce bacille a déjà été retrouvé chez plus de 200 espèces de rongeurs. Parmi les 2 500 espèces de puces, seules 31 espèces peuvent -transmettre le bacille, mais le vecteur principal chez l’animal est la puce du rat (Xenopsylla cheopis ) ( Figure 5), la transmission interhumaine étant effectuée par la puce de l’homme, Pulex irritans. L’infestation par la puce se produit par régurgitation du sang absorbé auparavant sur un sujet infesté. Les foyers de peste se trouvent essentiellement en zone rurale semi-désertiques en altitude de 700 à 1 500 mètres. Dans les agglomérations où les zones périphériques sont insalubres et les populations ont un faible niveau socio-économique avec une pullulation de rats noirs (Rattus rattus ) et de puces, la moindre introduction de bacille peut déclencher une épidémie.



Figure 5


Figure 5. Xenopsylla cheopis .
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Il est difficile de situer l’origine de la peste, pendant de nombreux siècles, les diverses épidémies ont été appelées « peste », ou maladies pestilentielles, considérées comme une conséquence du courroux divin, alors qu’il s’agissait de choléra, de dysenterie, de charbon, de fièvres virales diverses. Cependant, les moyens modernes d’études ont permis de confirmer la présence du bacille dans l’épidémie de la « peste de Justinien » ainsi que dans celle de « la Peste noire ». Vers 400 avant notre ère, la peste d’Athènes (dont serait mort Périclès) serait-elle en fait un typhus ou une typhoïde ? En 165 après JC, une forte épidémie de peste (ou de variole ?), décrite par Galien, a sévi dans l’empire romain. De 541 à 580, survient la peste de Justinien, décrite par Grégoire de Tours, dans tout le pourtour méditerranéen. En 1347, la Peste noire arrive à Marseille avec les Génois qui l’ont contracté au siège de Kaffa, où des cadavres pesteux ont été catapultés sur la ville par les assiégeants Tatars (c’est le premier exemple de guerre bactériologique !). Cette épidémie s’est répandue ensuite dans toute la France ( Figure 6) puis l’Europe où elle a tué presque la moitié de la population, avec des chiffres impressionnants de mortalité, de 80% à Florence et 75% à Venise.



Figure 6


Figure 6. Progression de la peste noire en France.
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Du XIVe au XVIIe siècle, divers foyers sévissent dans de nombreuses villes de France où les habitants fuient les zones infestées... et vont ainsi participer à la diffusion de l’épidémie, malgré les prières et les processions, assez peu efficaces, pour évoquer Saint Roch, le patron des « pestiférés ». Il est d’ailleurs toujours représenté avec une lésion inguinale (bubon) et un chien, car pour éviter la contamination, on lui jetait la nourriture qui lui était rapportée par le chien. Au XVIIIe et XIXe siècle, des foyers ont éclaté dans des grandes villes européennes et en Chine où Yersin a découvert le bacille en 1894. Au XXe siècle, la peste sévit toujours par épidémies dans diverses régions du monde. En 1942, les Japonais utilisent cette arme bactériologique contre la Chine. Une importante épidémie éclate en 1994 en Inde avec une forte mortalité. Au XXIe siècle, la peste sévit encore par foyers (Oran en 2003, République démocratique du Congo en 2004, Chine en 2009, Madagascar depuis 2013).

La peste aux 3 visages
La forme la plus fréquente est la peste bubonique. Elle se manifeste après une incubation de quelques jours après l’inoculation du bacille par les puces, qui se sont préalablement infestées en piquant des rongeurs infestés. Le patient se plaint de frissons, de fièvre, de céphalées, de myalgies, d’arthralgies et d’une asthénie intense. Puis, apparaissent rapidement des adénopathies au niveau des ganglions inguinaux, drainant la zone piquée (le pied ou la jambe). Ces adénopathies (ou bubon) sont très inflammatoires et douloureuses. L’inspection des membres inférieurs retrouve souvent des papules érythémateuses, centrées par un point violacé, qui sont les traces des piqûres de puces. Sans traitement, le bacille va se multiplier et diffuser dans l’organisme et provoquer une septicémie, d’évolution grave. En Amérique du Sud, les symptômes sont moins prononcés, d’où le nom de pestis minore .
La peste septicémique est la principale complication de la forme bubonique, les bacilles ayant dépassé les premières défenses immunitaires que sont les ganglions lymphatiques. Le patient présente alors une forte fièvre, des troubles digestifs importants (diarrhées, vomissements), chute de tension, avec un risque d’évolution vers une coagulation intra-vasculaire disséminée et une défaillance multiviscérale.
La peste pulmonaire peut être primitive ou secondaire. La contamination de la forme primitive est due à une transmission aérienne directe par inhalation de bacilles émis par la toux ou l’éternuement d’un patient atteint de peste pulmonaire. L’incubation est assez courte (2 à 3 jours) avant l’apparition des troubles pulmonaires (fièvre, toux, dyspnée, hémoptysies). Puis survient rapidement une pneumopathie importante avec œdème pulmonaire et surtout une détresse respiratoire aiguë évoluant vite vers le décès. La forme secondaire survient, dans 10% de cas, après une peste bubonique ou septicémique, l’envahissement du poumon s’effectuant par la circulation. Le patient présente une fièvre, une dyspnée et une toux avec des crachats hémoptoïques (dits « en sirop de groseille »), de mauvais pronostic.

Diagnostic : le bacille de Yersin et l’antigène F1
Le diagnostic de peste est basé sur la mise en évidence du bacille, Yersinia pestis ( Figure 7) , entérobactérie Gram négatif, facilement retrouvé dans le pus des bubons et dans l’expectoration en cas d’atteinte pulmonaire. En cas de septicémie, le bacille est retrouvé dans l’hémoculture. Ce germe est un coccobacille, prenant une coloration bipolaire et qui pousse lentement en culture à 26 °C. Par ailleurs, il possède un antigène capsulaire F1 spécifique, thermostable et détecté dans le pus des bubons ou dans l’expectoration, par immunofluorescence ou Elisa ou encore par les tests rapides sur bandelettes. Cet antigène F1 et également retrouvé dans le sang et dans les urines. En phase de convalescence, on retrouve les anticorps anti-F1. Enfin, les laboratoires bien équipés peuvent rechercher l’ADN de Yersinia pestis par RT-PCR.



Figure 7


Figure 7. Yersinia pestis .
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Croyances populaires et quarantaine
Dans l’Antiquité, Hippocrate recommandait d’allumer des feux dans les places publiques pour « brûler les miasmes ». Au Moyen-Âge, le traitement des sujets pestiférés se limitait à des prières à Saint Roch, des processions, des flagellations et le bûcher pour quelques personnes considérées comme « responsables » (les Juifs, les hérétiques et les lépreux) soupçonnées de propager la maladie. Les classiques purges et saignées, selon les documents de l’époque, aggravaient plus l’état du patient qu’elles le soulageaient. À partir du XVIe siècle, les patients sont isolés et leurs habitations subissent des fumigations et les morts sont incinérés. La mise en quarantaine des navires ayant à bord un patient suspect d’avoir une peste à permis d’éviter la propagation de la maladie dans les ports puis dans les autres villes.
Tout manquement à cette règle pouvait être responsable d”une épidémie, comme ce fut le cas de la peste de Marseille en 1720, avec l’arrivée d’un navire, « le Grand Saint Antoine », qui est revenu du Moyen-Orient, où sévissait la peste. Ce navire avait eu 8 décès pendant la traversée, ce qui aurait dû entraîner sa mise automatique en quarantaine. Mais les autorités locales, qui étaient aussi des commerçants de produits orientaux (tissus), ont néanmoins autorisé le navire à entrer pour récupérer la marchandise. L’épidémie va rapidement s’amplifier, jusqu’à provoquer plus de 1 000 décès par jour pour aboutir à un total de plus de 100 000 morts ( Figure 8).



Figure 8


Figure 8. Courbe de la mortalité quotidienne due à la peste (Marseille, 1720).
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À l’époque, les médecins s’occupant de la peste étaient revêtus d’une cape et la figure était cachée par un masque à bec de canard contenant des plantes aromatiques (clou de girofle, romarin). Ce masque, mis au point par Charles de Lorme, médecin de Louis XIII, permettait de mieux supporter l’odeur de la mort et une éponge imprégnée de différents vinaigres, placée devant la bouche, devait éviter une contamination. Les notions d’odeur étaient importantes, et selon la tradition, les palefreniers, les chevriers et les porteurs d’huile étaient épargnés par les puces qui ne supportent pas ces odeurs.

Actuellement : antibiothérapie efficace
Le traitement de la peste repose sur l’antibiothérapie, par voie orale ou parentérale, le bacille étant sensible à pratiquement tous les antibiotiques sauf aux béta-lactamines. Le traitement de première intention reste la streptomycine (1 g en IM/jour/10 jours). Peuvent également être utilisés la gentamycine en IM, les cyclines per os, l’ofloxacine, ou encore le chloramphénicol ou le sulfaméthoxazle-triméthoprime pendant une semaine. L’antibiothérapie précoce a permis de réduire la mortalité de 90% à 10%. L’entourage proche doit recevoir une dose unique de sulfadoxine ou de cyclines.
La prophylaxie commence par l’isolement du patient et des mesures de protection de l’entourage (gants, masque). Maladie à déclaration obligatoire (n° 9) car ayant un potentiel épidémique, les cas de peste confirmés doivent être déclarés à l’ARS, qui avertit la Direction générale de la santé pour déclencher le plan Biotox (enquête sur la source et les sujets contacts, limitation des déplacements, antibioprophylaxie par cyclines ou rifampicine, désinsectisation, dératisation). Un vaccin a été développé il y a plus de 100 ans, mais abandonné car il était mal supporté et peu efficace. Des études en phase I et II sont en cours, dans le cadre du bioterrorisme, pour développer des vaccins à partir des sous-unités F1 de la capsule et de la protéine V de la membrane du virus, ce qui devrait aboutir dans la prochaine décade.

Déclaration d’intérêt
les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.






pour en savoir plus
 
Derboise A., Carniel E. Le diagnostic de la peste Rev Fr Lab 2011 ;  41 : 43-50


  sources
 
Kreppel K.S., et al. A non-stationary relationship between global climate phenomena and human plague incidence in Madagascar PLoS Negl Trop Dis 2014 ;  8 (10) : e3155doi: 10.1371.

 
Prentice M.B., Plague Rahalison L. Lancet 2007 ;  369 : 1196-1207 [cross-ref]

 
Institut Pasteur de Madagascar. Atlas de la peste à Madagascar. Ed IRD, 2006

 
Richard V., et al. Pneumonic plague outbreak. Northern Madagascar, 2011 Emerg Infect Dis 2015 ;  21 (1) : 8-15 [cross-ref]

 
Ratovonjato J., et al. Yersinia pestis in Pulex irritans fleas during plague outbreak, Madagascar Emerg Infect Dis 2014 ;  20 (8) : 1414-1415 [cross-ref]

 
Butler T. Plague gives surprises in the first decade of the 21st century in the United States and worldwide Am J Trop Med Hyg 2013 ;  89 (9) : 788-793 [cross-ref]

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