mardi 24 mai 2016

p'tite tisane pour se débarrasser d' Alika ? un RT au tanguin !!

in :
 Dousset Laurent, « La sorcellerie en Mélanésie. Élicitation de l’inacceptable», L'Homme 2/2016 (N° 218) , p. 85-115
URL : www.cairn.info/revue-l-homme-2016-2-page-85.htm
Examinons maintenant le second élément de réflexion : le rapport entre commensalité et sorcellerie. Au Vanuatu, l’empoisonnement est l’un des moyens d’action de la sorcellerie de telle sorte qu’il n’y a pas de distinction terminologique entre empoisonnement et sorcellerie, ou entre empoisonneur et sorcier. Dans un article sur la commensalité, Maurice Bloch (1999) note, au sujet des Zafimaniry de Madagascar, que ces derniers sont autant obsédés par le thème de l’empoisonnement que par ceux de l’indivisibilité et de l’unicité (oneness) du groupe domestique. Chez eux, explique-t-il, ces deux problèmes sont les deux faces d’une même pièce (voir aussi Geschiere 1995 : 18 ; 2013 et Bonhomme 2005 : 259). Bloch nous rappelle à quel point la nourriture, avec le partage du même plat, est un opérateur et un conducteur social puissant. Le partage véhicule et instaure la consubstantialité et la solidarité organique, la proximité et l’être pareil. Comme la parenté, le mariage ou la sexualité, elle rapproche les corps. Les familles Zafimaniry veillent continuellement à rester unifiées par la parenté et la commensalité. De fait, le manger ensemble est aussi le moyen grâce auquel les limites de l’unité domestique, du champ de la confiance peuvent être étendues (Munn 1986 : 13). Mais cela n’est pas sans prendre de risques, selon Maurice Bloch, car plus un aliment est conducteur de socialité et donc un moyen d’étendre les limites de l’unité domestique, plus il devient un support pour le poison. La volonté d’étendre le champ de la socialité par le partage alimentaire s’accompagne ainsi du risque potentiel d’être empoisonné, et donc aussi du refus de l’inclusion recherchée.

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Ces observations sur les Zafimaniry sont tout à fait valables pour le Vanuatu. Les réorganisations et restructurations claniques qui ont eu lieu depuis les nombreuses migrations vers la péninsule, les interrelations et intermariages entre les unités domestiques sont source d’incertitudes et d’interrogations au sujet des frontières, si tant est qu’un jour elles aient été claires. Les questions de l’étendue du champ social qui relève d’un rapport de confiance, ou de la limite de l’unité domestique et clanique, sont des préoccupations, voire même des obsessions, pour reprendre l’expression de Bloch, quotidiennes chez les habitants de Lamap. Manger en commun, en particulier le laplap qui est, comme nous l’avons vu, le symbole et la source de l’unité sociale, est un acte qui fabrique, confirme et renouvelle la consubstantialité. Inviter un « étranger » à ce repas collectif est une manière de lui signifier la volonté de partager des corps semblables et d’installer une certaine proximité. Mais ici également, ce partage, ce manger ensemble signifie courir le risque de l’effet contraire : la destruction des corps des semblables par l’ingestion de substances létales.
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 Eating young men among the Zafimaniry » in
K. Middleton (ed.),
 Ancestors, Power and History in Madagascar,
Leiden, Brill, 1999, pp. 175-190.
pdf dispo étudiants sur #madagascar, à la demande

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